Avignon 2019. « Un démocrate », texte et m.e.s. de Julie Timmerman

— Par Roland Sabra —

« Comment faire récit au théâtre et créer des images, quand on veut dénoncer la propagande et la fabrication du consentement, qui fonctionnent précisément par récit et par images ? » Julie Timmerman cerne d’emblée la difficulté de la tâche à la quelle elles s’est attaquée en recréant dans une optique brechtienne le genre du cabaret politique avec « Un démocrate ». Elle s’attache présenter le rôle qu’a eu le neveu de Freud, Edward Bernays dans l’invention des techniques de manipulation de masse, plus précisément de fabrication du consentement pour vendre indifféremment, savons, hommes politiques, cigarettes, coups d’État. En réalité il ne s’agit pas tant de vendre que de faire acheter docilement par un consommateur, qui se croyant libre, obéit en fait à des injonctions intériorisées grâce aux techniques de persuasions. De la lecture des œuvres de son oncle Edward Bernays n’ a retenu qu’une chose : les hommes sont animés par des pulsions premières qui dans le meilleur des cas fontt l’objet d’une tentative d’habillage rationnel dans l’après-coup de leur émergence. Faire croire que la cigarette «  Luky » fait maigrir pour inciter les femmes à fumer, faire peur aux gens pour qu’ils oublient de réfléchir ( la diabolisation en politique), réduire le féminisme à des slogans ( Moulinex libère la femme) toutes des techniques encore plus raffinées et encore plus efficaces à l’heure du Big Data. Il ne faut pas asséner mais faire croire ou faire douter. La tabagisme et les maladies pulmonaires ? Plutôt que nier la réalité on la met en doute. « Rien ne prouve que les cancers proviennent de la cigarette » ou… du chlordécone ? Et s’il le faut, avoir recours au complotisme cet outil d’une grande efficacité sans oublier «  les faits alternatifs » ( Trump), l’ infobidon, les « fake news » etc.

Et quand l’oncle ironiquement l’interroge «  Et toi, tu es un démocrate peut-être ? » le neveu de répondre «  Oui, je dirige les gens mais dans le bon sens. » La question du sens dans laquelle doit aller le peuple passe à la trappe celle d’être dirigé. Par un meneur ? Par un leader «  maximo » ? Goebbels s’inspira de ces méthodes. Elles sont aujourd’hui massivement enseignées dans toutes les écoles de communications pour lesquelles le onsommateur est une « cible »
Le travail de Julie Timmerman sur le plateau consiste à jouer de tous les artifices théâtraux, présentés pour le coup comme reflets des techniques de manipulation pour les dénoncer et les déconstruire tout aussitôt avec le consentement du public. Le fond de scène est un immense tableau noir sur lequel viennent s’inscrire les images ( forcément les images) des différentes campagnes d’Edward Bernays. La parole, drôle, vive, imagée, coupante circule entre les quatre comédiens qui vont incarner une vingtaine de personnages et jouer à être tour à tour Bernays. La propagande, la publicité sont totalitaires en leur essence, elles sont de toutes les bouches. Le jeu des comédiens avec une once de gravité s’attache à démonter les mises en scènes dangereuses, celles qui sont au service d’un produit, d’un mensonge politique, d’une escroquerie. Les adresses au public qui ponctuent le spectacles ne sont jamais comminatoires elles sont une invite à participer au processus de déconstruction de l’illusion.

Avignon, le 13/07/19

R.S.