Avec quoi écrire l’histoire de l’Afrique ?

— Par Vincent Hiribarren —

S’il est bien une chose qu’on entend sur l’Histoire de l’Afrique, c’est qu’il n’y a pas ou peu de documents disponibles pour l’étudier. Face aux montagnes de documents disponibles pour la Chine, l’Inde, le monde arabe ou l’Europe, il est souvent difficile de rivaliser. En ressort souvent une conclusion qui fait de l’Afrique subsaharienne et de certaines parties de l’Amérique précolombienne les parents pauvres de l’Histoire. Selon cette vision du monde, la vraie histoire commence avec les documents papier de la période coloniale européenne.

L’Histoire et le papier font tellement bon ménage que l’absence de papier voudrait automatiquement dire qu’il n’y a pas d’Histoire. Evidemment, ce constat est faux mais il en devient extrêmement difficile de croire qu’il soit possible d’écrire l’Histoire avec des sources orales, linguistiques ou archéologiques… Pourtant, cela fait plus d’un demi-siècle que la discipline de l’Histoire de l’Afrique s’est professionnalisée et que toutes ces sources sont mobilisées pour écrire l’Histoire de tout un continent.

Pourtant des sources écrites existent sur le continent africain. En consultant cette liste de documents écrits en différentes langues africaines avec l’alphabet arabe (ajami), on peut se rendre compte qu’il existe une vraie tradition d’écriture sur le continent et que des générations d’historiens ont utilisé ces documents. Pourtant, l’image du continent sans documents et/ou sans Histoire colle à la peau de l’Afrique. Les Historiens de l’Afrique n’ont pas vraiment réussi à changer cette image et sans doute est-il possible de parler d’un échec relatif de leur (la mienne incluse) part.

On pourra toujours se plaindre des a priori européens encore marqués d’une forme de racisme. C’est un grand classique mais il ne se vérifie que trop souvent. On pourra aussi à raison se plaindre du manque d’investissements de nombreux gouvernements africains dans l’enseignement (de l’Histoire) depuis les reformes néolibérales et les Plans d’Ajustement Structuraux des années 1980 et 1990. Le résultat est troublant. Quand j’ai travaillé avec le directeur des archives nationales du Nigeria à Kaduna pour créer un site web de ses archives, peu de Nigérians connaissaient l’existence de tous ces documents dans leur propre pays.

Evidemment énormément de documents coloniaux sur l’Afrique sont conservés dans les pays européens mais une très grande quantité d’entre eux sont aussi conservés dans les pays concernés. La question des archives est extrêmement politisée avec par exemple la question des Migrated Archives, ces documents que les Britanniques avaient envoyé et caché à Londres après l’indépendance de leurs colonies. Personne ne peut denier qu’il reste beaucoup de travail (politique, juridique et technique) pour convaincre les anciennes puissances coloniales à mettre à disposition du public tous les documents dont ils disposent.

Cela ne suffira pas parce que les faits sont têtus. De très nombreux documents sont disponibles dans les archives de différents pays africains et ils sont sous-utilisés. Ils ne correspondent pas qu’à la période coloniale mais aussi dans de très nombreux cas à la période postcoloniale. Ces documents ne sont pas toujours classés et/ou accessibles au public. Pourtant ils existent et il y a de quoi se réjouir. Cela veut dire que les futures générations d’historiens se rendront dans les centres d’archives africains (dans les capitales mais aussi dans les archives régionales) pour écrire une nouvelle histoire du continent.

Pour le site web des archives nationales du Nigeria de Kaduna (partie nord du pays) : https://nationalarchivesnigeriakaduna.wordpress.com/

Source Liberation