Avec « Division Avenue », Goldie Goldbloom signe un roman gorgé d’amour, de tristesse et de lumière

Juive hassidique et militante pro-LGBT+, Goldie Goldbloom écrit l’histoire d’une femme de rabbin bouleversée par une grossesse hors norme.
Il existe à New York une rue au nom évocateur : Division Avenue. Elle se situe dans une partie spécifique de Brooklyn, le quartier juif orthodoxe. C’est là que vit Surie Eckstein, qui peut s’enorgueillir d’avoir vécu une vie bien remplie : mère de dix enfants, elle passe des jours tranquilles avec sa famille. Alors qu’elle pensait être ménopausée, Surie découvre qu’elle est enceinte. C’est un choc. Une grossesse à son âge, et c’est l’ordre du monde qui semble être bouleversé. Surie décide de taire la nouvelle, quitte à mentir à sa famille et à sa communauté. Ce faisant, Surie doit affronter le souvenir de son fils Lipa, lequel avait – lui aussi – gardé le silence sur une part de sa vie. Un secret peut avoir de multiples répercussions ; il permettra peut-être à Surie de se réconcilier avec certains pans de son passé.
Avec Division Avenue, Goldie Goldbloom trace le portrait empathique, tendre et saisissant d’une femme à un moment charnière de son existence. Et nous livre un roman teinté d’humour où l’émancipation se fait discrète mais pas moins puissante.

Traduit de l’anglais (Australie) par Eric Chédaille.

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Un roman gorgé d’amour, de tristesse et de lumière

–- Par Elise Lépine —

À 57 ans, Surie Eckstein, femme de rabbin, membre de la communauté très fermée des juifs hassidiques implantée dans le quartier de Williamsburg, à New York, a eu dix enfants et trente-deux petits enfants. Mais la voilà frappée par la foudre : au creux de son ventre usé grandissent des jumeaux. Bouleversée, Surie cherche les mots pour l’annoncer à son mari, Yidel, et à leur entourage. Mais les mots ne viennent pas et elle s’enfonce dans le secret.

Elle ne redoute pas le jugement de Dieu mais celui de ses semblables, pétris de traditionalisme : « Ils s’habillaient comme dans les années 1940 et 1950 et révéraient des anciens qui n’avaient jamais lu un mot d’anglais. » Un roman gorgé d’amour, de tristesse et de lumière Surie Eckstein a « honte, honte de son corps perfide » qui trahit un goût pour la sexualité inconvenant chez une femme de son âge. Tandis que la grossesse progresse, personne, malgré les signes évidents du « miracle », ne se résout à reconnaître l’état de Surie.

Une religion, c’est avant tout l’amour de soi, l’amour de l’autre, l’amour du bien

Il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir : c’est la tragédie des habitants de Williamsburg. Quelques années plus tôt, Lipa, l’un des fils Eckstein, homosexuel, a été chassé de la communauté. Il est mort seul, loin des regards, plongeant ses parents dans un impossible chagrin. À l’hôpital où des médecins étudient sa grossesse, Surie se lie d’amitié avec une sage-femme. Déboussolée par les femmes hassidiques qui viennent la consulter, la soignante embauche Surie comme interprète du yiddish, puis comme apprentie sage-femme.

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« J’essaie juste de faire quelque chose de bien pour les femmes de cette communauté, plaide-t-elle auprès de son mari, inquiet de partager le lit d’une ‘avorteuse’. Quelque chose qui ne s’était jamais fait. » En choisissant de briser les tabous entourant la sexualité en général et le corps féminin en particulier, Surie ne cherche pas à se libérer de sa communauté, qu’elle aime autant qu’elle aime Dieu, mais à délivrer ses semblables du poison du secret.

Elle-même juive hassidique, mère de huit enfants et militante pour les droits des personnes LGBT+, Goldie Goldbloom écrit, dans ce roman gorgé d’amour, de tristesse et de lumière, des choses magnifiques sur sa communauté, son lien sacré aux enfants, sa culture des grandes familles, comme un pied de nez à la Shoah. Questionnant avec sensibilité l’ancestrale question du péché, elle souligne cette vérité : une religion, quelle qu’elle soit, c’est avant tout l’amour de soi, l’amour de l’autre, l’amour du bien.

Division Avenue, Goldie Goldbloom, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Eric Chédaille, Christian Bourgois, 355 pages, 22 euros.

Source : LeJDD.fr