Autonomie : un anticolonialiste est indépendantiste, ou ne l’est pas.

— Par Yves-Léopold Monthieux —
Il ne suffit pas, comme dit l’autre, de sauter comme un cabri en criant « Autonomie ! Autonomie ! » pour se voir décerner le label d’ « anticolonialiste ». Un anticolonialiste est indépendantiste, ou ne l’est pas. Tandis qu’un autonomiste anticolonialiste, cela n’a pas de sens. D’ailleurs, on attend en vain que les adeptes de cette autonomie disent en deux phrases ce que recouvre, selon eux, ce mot. D’aucuns s’accrochent au fameux discours de campagne électorale, dit des « Trois voies et cinq libertés », qui s’acheva tristement dans la mort d’un individu. Or 15 ans plus tard, en 1993, comme pour dire que ce mot d’ordre n’était pas satisfaisant, le secrétaire général du PPM, Camille Darsières, annonça que son parti se donnait « huit mois pour définir le contenu de l’autonomie ». A ce sujet Raphaël Confiant écrira que “c’est incroyable de la part d’un parti qui réclame à cor et à cri l’autonomie depuis trente-trois ans” (Aimé Césaire, une traversée paradoxale du siècle). Vingt-cinq ans plus tard, rien n’a changé.
En réalité il n’est pas aisé de statufier l’autonomie qui est essentiellement une notion variable et qui, le long d’un curseur, peut avancer ou reculer à l’intérieur d’une même nation. Elle avait déjà connu une progression entre 1848 et 1946. Elle s’est accrue avec diverses mesures, en 1960, avec la dévolution de pouvoirs nouveaux (jamais utilisés) au conseil général, avec la régionalisation, en 1983, avec la CTM, en 2015. Mais on s’accorde à dire qu’elle avait reculé, notamment en 1946. Rapporteur de la loi d’assimilation, Aimé Césaire s’était fermement opposé à la dévolution de tout nouveau pouvoir du conseil général (lire le texte de son intervention à l’assemblée nationale).
Cette instabilité n’a pas épargné Camille Darsières qui, l’espace d’une possible dépression idéologique, s’était écrié devant Césaire, interdit : « Européens, Faites vos valises avant qu’il ne soit trop tard… ». C’était l’époque du fameux discours des « Trois voies… ». Ces inclinations du maître et de son second allaient se dissoudre dans le « moratoire » prêté au premier et promptement défendu par l’autre. Dès la fin des années soixante-dix, Aimé Césaire avait marqué son embarras par un « emprunt » à la théologie négative du « ni-ni », dont Gilles DELEUZE fut le prophète. Le Nègre fondamental ouvre le bal en février 1978 dans Le Progressiste : « l’autonomie n’est ni un passéisme ni un nihilisme. C’est un plus, ce n’est pas un moins ». De même, le « ni-ni » de Serge Letchimy se conjugue : « l’autonomie n’est pas un programme ni une théorie achevée », elle « n’est pas une fin en soi », « n’est pas un simple statut ». Elle « n’est pas le marchepied de l’indépendance ». C’est une « souffrance », osera-t-il. On ne saura pas grand-chose de l’autonomie du parti communiste, tandis que pour Claude Lise, autre fils de Césaire, l’autonomie « n’est pas une fin », ni « la Terre promise sur laquelle on a tout le loisir de rêver ».
On connaît la formule de Césaire : « je lance le mot autonomie, il fera son chemin ». Le poète sera accompagné « jusqu’au bout du petit matin », pas au bout du chemin de l’autonomie, qu’il n’aura pas su décrire. Mais pouvait-il concevoir une autonomie à 8000 kms de la Métropole, en se référant exclusivement aux régions intra-européennes qu’il avait prises pour modèles. Lesquelles se situent, en effet, à l’intérieur des pays européens, comme en Allemagne et l’Italie, ou dans leur proche périphérie, comme en Espagne et le Portugal ?
Depuis plus de dix ans, j’utilise l’expression « appartenance à la France » ou à la « République », par contraste à l’indépendance, le vrai, le seul vrai changement de statut possible. On est dedans ou on est dehors. A moins d’être dans la posture, dont on sait qu’elle n’est pas loin de l’imposture. Avec ses fortunes diverses, la notion d’autonomie ne peut se concevoir que dans le cadre de l’appartenance à la nation française. En conséquence, revendiquer l’autonomie c’est revendiquer cette appartenance avec les avantages qu’elle implique. Pour preuve la motion spectaculaire adressée au président de la République par un quarteron de parlementaires autonomistes, lesquels n’ont pas préparé l’inéluctabilité de la fin des privilèges. Le président indépendantiste de la CTM se tait, plus conséquent sur ce coup-là.
Fort-de-France, le 26 septembre 2018
Yves-Léopold Monthieux