Les Révoltés du Monde : « Tu crois que la terre est chose morte »

Le 4 octobre lui est décerné le Prix Caribéen au Festival du Documentaire « Les Révoltés du Monde ». Le documentaire va être présenté à Paris, à Beaubourg, dans le cadre Cinéma du réel.

— par Janine Bailly —

La réalisatrice Florence Lazar nous parle des terres souffrantes de Martinique

Nous avons pu le voir le 4 mai sur la chaîne Arte, il est resté en ligne sur le Net jusqu’au 2 juillet 2020, le voici qui bien heureusement nous revient dans la sélection proposée par le Festival Les Révoltés de l’histoire.

Le documentaire, « Tu crois que la terre est chose morte », d’une durée de 70 minutes, soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et accompagné par ALCA, figurait parmi la sélection officielle du « Festival IDFA » qui s’est tenu à Amsterdam du 20 novembre au premier décembre 2019. L’IDFA, « International Documentary Filmfestival Amsterdam », en français « Festival International du Documentaire d’Amsterdam », est le plus grand festival mondial du film documentaire. Il fut créé en 1988 et se tient depuis lors au centre d’Amsterdam. Son but est de promouvoir la création de documentaires, et de les présenter au plus large public possible. L’ALCA , « Agence Livre Cinéma et Audiovisuel » en Nouvelle-Aquitaine, travaille au dialogue entre les trois secteurs qui procèdent de l’écriture : « Livre, cinéma, audiovisuel, il s’agit à chaque fois de raconter, témoigner, trouver de nouvelles formes de langage. »

Florence Lazar :

Cinéaste documentariste, photographe et plasticienne, Florence Lazar a réalisé en 2016 une série photographique au Collège Aimé Césaire, dans le quartier de La Chapelle à Paris : chaque cliché représentait un objet lié au passé colonial de la France, ou au mouvement anti-colonial de l’après-guerre ; ces objets avaient été choisis en concertation avec les élèves du collège.

Au Jeu de Paume s’est tenue en 2019 une exposition au titre éponyme du film « Tu crois que la terre est chose morte ».

« 125 hectares »

C’est un premier documentaire, d’une trentaine de minutes, par lequel Florence Lazar relate l’entreprise singulière d’un collectif de jeunes agriculteurs qui, en 1983 au Morne-Rouge à la Martinique, a décidé de faire bouger les lignes. 125 hectares, c’est d’abord la superficie du terrain occupé de façon illicite par le Collectif. Véronique Montjean, une des fondatrices de ce Collectif, dit sans emphase l’histoire de cette occupation, dit ses certitudes sans cesser de travailler à la récolte dans son champ. On la retrouvera avec plaisir dans le second documentaire.

« Tu crois que la terre est chose morte » (Production : Sister productions)

Et pour cela, tu la piétines Le sol de Martinique — un quart des terres vraisemblablement — souffre d’une grave pollution, généralisée par l’usage intensif sur plusieurs décennies, de produits phytosanitaires qui se sont révélés dangereux. Le chlordécone en particulier, pesticide cancérigène de très haute toxicité, utilisé pour traiter les plantes dans les bananeraies, la monoculture de la banane étant devenue, après la chute de l’industrie sucrière, la première ressource économique de l’île. Sols pollués, rivières mortes où l’on s’en allait autrefois pêcher l’écrevisse, êtres humains contaminés…

Le documentaire montre comment aujourd’hui, par des initiatives individuelles ou collectives, une partie de la population agricole entreprend de revitaliser la terre, en cultivant autrement, dans le respect de la nature, en s’inspirant aussi de savoirs ancestraux re-dynamisés. Loin de théoriser, sans asséner de certitudes, le film se fait à hauteur d’hommes et de femmes, de celles et ceux qui pensant pour leur pays un nouvel avenir « entrent en résistance », inventent pour leur terre une résilience, se réapproprient des sols confisqués, ou s’initient aux médecines traditionnelles. Pourront-ils « inverser la tendance ? »  Une réalité, un rêve, une utopie en marche ?

« Atoumo, cannelle, citronnelle de Madagascar, bouton d’or pimenté etc » : c’est à un inventaire poétique de la biodiversité en Martinique que nous convie telle herboriste, grande amatrice de flore tropicale. Il suffirait de l’entendre égrener les noms de toutes les variétés de menthe existantes pour comprendre à quel point est riche la flore de l’île ! Connues des anciens pour leurs vertus thérapeutiques, les plantes, dont certaines sont venues du Japon, de Chine, ou sont héritées des Amérindiens, composent une précieuse pharmacopée encore trop peu connue, trop peu reconnue, voire méprisée, ou interdite. Ce sont les plantes aussi, aptes à nourrir comme à soigner, qui ont permis autrefois dans la forêt « la survie des Nègres Marrons ».

Sans jamais asséner de vérités, en images souvent poétiques, en plans rapprochés qui magnifient les gestes des mains, ou en plans plus larges qui exaltent la nature et le paysage martiniquais, le film fait que l’on aime ces hommes et ces femmes, leur rapport tendre et respectueux à la terre qu’ils travaillent. Deux mondes ici s’opposent, celui de ces paysans d’un genre nouveau, calme et serein et qui sait prendre son temps, où les bruits seuls du vent dans les feuilles, de l’eau qui coule, des oiseaux dans les haies troublent le silence  ; celui de la monoculture, industrialisé, déshumanisé, dans l’urgence et le profit immédiat, et qui revient en leitmotiv, dans l’incessante rotation des chaînes de conditionnement d’une banane destinée d’abord à l’exportation. Sans explication, par la seule force de l’image, c’est bien un constat alarmant, une analyse sérieuse, assortie d’un discours justement critique, qui nous sont  proposés. L’eau en est le fil conducteur, elle ruisselle pure encore ou déjà souillée ; elle est morte dans la rivière ; elle est la pluie chantante et bienfaisante ; elle est la captive au service des humains et de l’économie quand, sans voir jamais de visages on regarde des mains laver dans les bassins les régimes de bananes ; mais elle pourrait être la vie !

Une œuvre, essentielle, à voir et à revoir… pour aimer et comprendre, « Parce que ce territoire ultramarin est un microcosme, il est un observatoire des grandes questions environnementales qui se posent partout à nous. »

Distinctions

▪ 2020 : Cinéma du réel – Paris (France) – Section Front(s) populaire(s)

▪ 2020 : Sheffield Doc/Fest – Sheffield (Royaume-Uni) – Section Into the World

▪ 2019 : IDFA – International Documentary Festival Amsterdam – Amsterdam (Pays-Bas). IDFA Competition for Mid-Length Documentary