« Art et hasard » 21e colloque du CEREAP

 26 & 27 novembre 2016 au Mémorial ACTe

art__hasard-2Programme ci-dessous.

Hasard et aléatoire, Dada et art génératif

— Par Augustin Manaranche —

Le hasard a toujours fasciné les artistes.
Conscient du formidable potentiel qu’il recèle, les artistes ont tenté à plusieurs reprise de le convoquer au cœur même de leur démarche afin de pouvoir jouir de ses bienfaits créatifs.
Au travers de l’exemple du mouvement Dada et de l’art génératif nous chercherons à découvrir la signification de leurs rapports au hasard.

Introduction au hasard et à l’aléa dans le champ de l’art
Le hasard reste avant tout une notion difficilement définissable. Néanmoins deux catégories de hasard peuvent être distinguées comme l’a établi avec justesse le biologiste et biochimiste Jacques Monod, dans la mesure où un hasard peut effectivement être soit subi, soit provoqué. Le premier répondant à « une incertitude essentielle » et le second à une « incertitude opérationnelle(1).

Dans le premier cas le hasard peut se donner à voir comme un accident et un événement fortuit, inexplicable et inattendu, pouvant s’inviter à tout instant dans l’acte créatif, aussi bien avant que pendant ou aussi après. Il peut être alors perçu comme un acteur – important ou non – venant bouleverser l’oeuvre en bien ou en mal.
La légende de Protogène contée par Montaigne (2) illustre bien en cela cette incertitude essentielle, étant sans doute une des premières apparitions du hasard en peinture. En effet Protogène, célèbre peintre de l’antiquité, n’arrivait pas à reproduire la bouche d’un chien écumant de bave. Après de nombreuses tentatives, fou de rage, il attrapa son éponge imbibée de couleur qu’il projeta sur la toile.
Le hasard voulut que l’éponge atterrit sur le museau du chien et reproduisit l’effet tant recherché par l’artiste. Le hasard réalisa ici ce que ni l’habilité humaine ni l’imitation n’avaient pu réaliser.
Ce premier accident de la peinture aura ensuite une valeur exemplaire puisque, selon Pline, le peintre Néalcès fit de même pour rendre l’écume d’un cheval.
Le célèbre peintre japonais Hokusai, bien des siècles plus tard, fit courir délibérément un coq dont il avait au préalable trempé les pattes dans la couleur afin que celui ci manifeste au hasard et sans que l’artiste puisse le contrôler, les flots de la rivière Tatsouta, ce que l’artiste pensait ne pas être à même de réaliser.
Cette légende « où la nature a l’air de travailler toute seule à reproduire la nature (3)pourrait illustrer l’idée selon laquelle le hasard serait une sorte de « sorcellerie charmante (4) qui serait potentiellement à même de manifester ce que l’artiste, au-delà de ses intentions et de son talent, aurait bien de la peine à entreprendre ou à imaginer.

Ce constat peut être joint à l’analyse de l’anecdote de Protogène par Pierre Soulage dans laquelle il note que « la cohérence des formes soumises à la physique d’un liquide projeté par une éponge, leur permet d’être plus vraies qu’une imitation (5).
En outre le hasard aurait le pouvoir de dépasser la simple imitation. De contenir une puissance évocatrice encore plus importante, pouvant ainsi faire dépasser l’œuvre d’elle même en y amenant une touche supplémentaire à l’insu de la volonté de l’artiste, « des presque-rien qui feraient tout (6) capables d’insuffler de la dynamique à l’œuvre si l’artiste décèle et exploite son potentiel.
En effet, l’événement de Protogène ne lui était aucunement bénéfique avant que celui ci ne l’interprète comme tel et ne décèle en lui une forme de positivité.
L’artiste doit entre autre prendre conscience de ce hasard et le réinvestir par la suite dans son travail et sa démarche. Ce qui lui permet d’une certaine façon de «faire vivre » l’œuvre comme le confirme bien des années plus tard l’artiste Francois Morellet qui l’employait notamment dans la mesure où il pouvait lui servir à « faire vivre (c’est à dire casser) les systèmes […] un peu trop endormis dans leur autosatisfaction (7).
L’artiste prend conscience dès le début du XXe siècle du véritable potentiel que renferme le hasard, se proposant à l’image de Dada et Duchamp de provoquer et convoquer consciemment le hasard au coeur même de leurs productions.
Ce hasard est le plus souvent ici mécanisme opérationnel, « hasard mécanique (8), faisant plus appel à la notion d’aléa qu’à celle du hasard, événement incontrôlable invité par l’artiste lui-même à investir son œuvre. Et dont la résultante ne sera que l’une des nombreuses combinaisons possibles mais néanmoins limitées dans un système donné. L’artiste peut déjà, dans une certaine mesure, projeter dans son esprit le résultat de ce mécanisme avant même que celui ci ne débute.

1 MONOD Jacques, Le hasard et la nécessité Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, éd. du Seuil, Paris, 1970, p.128-129.
2 MONTAIGNE, Essais, Livre I, Chapitre 34, La fortune se rencontre souvent au train de la raison
3 « On dit qu’un jour, devant le Shôgoun, ayant déployé sur le sol son rouleau de papier il [Hokousaï] répandit un pot de couleur bleue; puis, trempant les pattes d’un coq dans un pot de couleur rouge, il le fit courir sur sa peinture, où l’oiseau laissait ses empreintes.
Et tous reconnurent les flots de la rivière Tatsouta, charriant des feuilles d’érable rougies par l’automne. Sorcellerie charmante, où la nature a l’air de travailler toute seule à reproduire la nature ». FOCILLON Henri, Éloge de la main dans Vie des formes,., éd. Puf, Paris, 1943, p.121-122.
4 FOCILLON Henri, Idem., p.122.
5 SOULAGE Pierre, Lettre sur les lavis de Victor Hugo adressée à Henri Meschonnic,
6 JANKÉLÉVITCH Vladimir, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, Tome 2. La méconnaissance Le malentendu, éd. du Seuil, Paris, 1980, p.19.
7 MORELLET Francois, Quelques reflexion au hasard, éd.Ensba, 2003, p.122.
8 BRECHT George, L’Imagerie du hasard, éd Les Presses du Réel. 2002, p.82

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Programme

S A M E D I

Modérateur : Dominique BERTHET

8 h 15 Accueil des participants

8 h 30 Allocutions d’ouverture

Jacques MARTIAL Président du Mémorial ACTe ou son représentant,

Dominique BERTHET,

Responsable du CEREAP

8 h 45 Christophe VIART,

Les retrouvailles dans le hasard

9 h 30 Jacinto LAGEIRA,

Incertitude, opportunité, vagueur (ensemble ou séparément)

10 h 15 Pause

10 h 30 Bruno PEQUIGNOT,

« Tout hasard doit être banni de l’œuvre moderne et n’y peut être que feint »

11 h 15 Fabienne BRUGERE,

Le hasard ou la haine du système. À partir de « Soulèvements » au Musée du Jeu de Paume.

12 h 00 Pause repas

Modératrice : Scarlett JESUS

14 h 30 Dominique BERTHET,

La part du hasard dans la création artistique

15 h 15 Catherine KIRCHNER-BLANCHARD,

Hasard et sérendipité

16 h 00 Table ronde autour de 40 entretiens d’artistes. Martinique, Guadeloupe,

Anne-Catherine BERRY, Dominique BERTHET, Christian BRACY, Marie-José LIMOUZA, Stan MUSQUER

17 h 00 Fin des communications

D I M A N C H E

Modérateur : Richard-Viktor SAINSILY CAYOL

8 h 30 Accueil des participants

8 h 30 Accueil des participants

8 h 45 Florence POIRIER NKAPA,

Le hasard c’est l’Autre

9 h 30 Alain JOSEPHINE,

La posture de l’éveil

10 h 15 Pause

10 h 30 Antoine POUPEL,

Entre hasard et contingence

11 h 15 Sandrine MORSILLO,

Sans dessein, entre automatisme et lignes hasardeuses

12 h 00 Pause repas

Modérateur : Dominique BERTHET

14 h 30 Olivia BERTHON,

L’installation dans l’art de la Caraïbe,

une oeuvre imprévisible.

15 h 15 Anne-Catherine BERRY,

La part du hasard dans la démarche artistique de François Piquet

16 h 00 Scarlett JESUS,

Entre imperméabilité et ouverture au hasard : les voies de la création artistique contemporaine en Guadeloupe

16 h 45 Cocktail de clôture