Antilles : silence, on empoisonne !

 

La Lettre de S-EAU-S Février 2006

 

Les nouvelles que nous recevons de Guadeloupe et de Martinique sont véritablement effarantes. Avec la bénédiction de l’AFSSA (l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments), l’Etat Français, sous la signature du ministre de l’économie des finances et de l’industrie, du ministre de l’agriculture et de la pêche, du ministre de l’outre-mer, du ministre de la santé et des solidarités, vient d’autoriser la consommation de denrées alimentaires d’origine animale et végétales contaminées à des taux élevés par le chlordécone, un pesticide particulièrement redoutable utilisé sur les bananes.

Rappel des faits :

Octobre 2002 : une tonne et demie de patates douces en provenance de la Martinique sont saisies par la répression des fraudes sur le port de Dunkerque. Elles présentent une forte contamination par le Chlordécone, un insecticide puissant utilisé sur les exploitations de bananes et interdit depuis 1993.

Juillet 2001 : un rapport est remis à Dominique Voynet, ministre de l’environnement, et à Dominique Gillot, secrétaire d’état à la santé. Rédigé par deux inspecteurs généraux des affaires sociales et de l’environnement, il décrit un état de pollution « difficilement admissible » ainsi que les risques sanitaires courus par la population (cancers, troubles neurologiques et de la reproduction).

Mars, Octobre 2003 : deux arrêtés préfectoraux en Martinique puis en Guadeloupe imposent l’analyse des sols avant toute mise en culture de légumes racines. Les sols contaminés ne doivent pas être utilisés. Tout légume produit sur un sol non contrôlé doit être analysé et retiré de la vente s’il contient des traces de pesticides.

Juillet 2005 : dans l’indifférence estivale est rendu public le rapport de la commission parlementaire qui s’est rendue sur place en février de la même année. Elle constate que les arrêtés ne sont pas appliqués, d’ailleurs comment pourraient-ils l’être ? Elle apprend aussi que le Chlordécone ne se dégrade pas et pourrait rester dans les sols pendant plusieurs siècles.

En conclusion : le rapport propose de fixer une limite maximale de résidus (LMR) en dessous de laquelle des produits contenant du chlordécone pourront être consommés.

voir aussi notre article : DOM-TOM : les oubliés des lois sur l’eau.

http://seaus.free.fr/article.php3?id_article=11

L’état des lieux, aujourd’hui
En avril 2005 était créé par les cinq ministères concernés (Agriculture, Ecologie, DOM-TOM, Santé, consommation et répression des fraudes), le GEP (Groupe d’Etude et de Prospective « organochlorés aux Antilles ») Un premier séminaire en Octobre 2005, en Martinique, permettait de faire le point.

– Aucun indice de dégradation du chlordécone n’a été relevé, seul le lessivage, très lent, des sols permettra leur décontamination. Cela prendra plusieurs siècles dans certains types de sols.

– On pensait que seuls les tubercules, racines, oignons… étaient contaminés mais on rencontre le pesticide également dans certaines parties aériennes des plantes (base des cannes à sucre et d’ananas)

– On espérait pouvoir décontaminer biologiquement les sols mais les plantes ne concentrent pas le chlordécone. Leur teneur est bien inférieure à celle des sols.

– 40% des espèces animales marines étudiées sont contaminées

– Des espèces d’eau douce vivant au sud de Basse Terre présentent des concentrations très importantes (tilapia, ouassou). La pêche a été interdite dans les cours d’eau concernés.

– La cartographie des sols pollués a été engagée en Guadeloupe. 4000 hectares (1/6 des terres agricoles) seraient ainsi pollués.

– Sur les anciennes bananeraies ont été établis des « jardins créoles » qui nourrissent les familles. Des lotissements ont été construits. Leurs habitants sont particulièrement concernés.

Face à ce constat faudra-t-il interdire toute culture sur les terres contaminées des Antilles et cela pour des siècles ? C’est là qu’intervient l’AFSSA (Agence française de Sécurité Sanitaire des Aliments)

L’AFSSA paravent des « politiques » ?

L’AFSSA est supposée protéger la santé des citoyens. Il semblerait que son rôle soit plutôt de fixer les normes derrières lesquelles pourront se retrancher les « politiques ».. Vérification avec le cas du chlordécone.

Pour rendre légale la consommation d’un aliment contaminé par le chlordécone, l’AFSSA a fixé une LMR (limite maximale de résidus). Sur quelle base ? « Il existe très peu de données chez l’homme » reconnaît l’AFSSA. Elle affirme donc s’être basée sur des études statistiques concernant les habitudes alimentaires des populations antillaises. La « norme » sera d’autant plus élevée que les produits seront peu consommés. Imaginons le procédé appliqué en Bretagne : 80% des bretons ne boivent plus l’eau du robinet, on devrait donc pouvoir porter la norme de 50mg/l de nitrates jusqu’à 200mg. De cette façon il n’y aurait plus une seule rivière, plus un seul captage, plus une seule source qui serait « polluée » en Bretagne. Toutes répondraient aux normes !

C’est ce principe qui a été appliqué aux Antilles. On a admis que 8 aliments (dachine, patate douce, igname, concombre, carotte, tomate, melon et poulet) pouvaient être consommés s’ils contenaient jusqu’à 50microgrammes de chlordécone par kilogramme. Pour d’autres, moins consommés, la limite était portée à 200microgrammes. Pour mémoire, l’eau, pour être déclarée potable, doit contenir moins de 0,1 microgrammes de pesticide par litre. On pourrait donc consommer un aliment qui contiendrait 2000 fois cette dose !

C’est avec cette recommandation de l’AFSSA que les ministères de la Santé, de l’Outremer, de l’Economie, de l’Agriculture ont publié un arrêté fixant ces normes de consommation. C’est ainsi que les préfets des Antilles ont eux-mêmes publié des arrêtés qui en précisaient l’application.

Avec ces nouvelles données le GEP estimait pouvoir « alléger la contrainte que la pollution des sols par le chlordécone » faisait « peser sur la production végétale ». La moitié des sols « détectés contaminés » allaient, par ce simple choix d’une « norme », pouvoir être déclarés aptes à la production et mis en culture. Ainsi le chlordécone qu’ils contiennent continuerait à contaminer les générations de consommateurs qui allaient se succéder dans les siècles à venir.

Une question, parmi d’autres nous vient à l’esprit : Allons nous logiquement pouvoir maintenant accepter à Dunkerque les patates douces qui y avaient été précédemment détruites ? Allons nous les trouver à Rungis ou dans les divers marchés de l’Europe continentale ? La commission européenne va-t-elle enregistrer cette nouvelle « norme » ou ces normes resteront-elles spécifiques aux Antilles ? Oubliés des lois sur l’eau, les DOM-TOM vivront-ils également sous un régime sanitaire d’exception ?

En attendant, en Guadeloupe des citoyens n’acceptent pas ce mépris et cette fatalité. Ils se sont regroupés dans un collectif « Agriculture-Société-Santé-Environnement » (ASSE) qui a décidé de porter plainte pour mettre chacun face à ses responsabilités.
S-eau-S