André Schwarz-Bart, le Juif de nulle part

 

 

 

L’Arche n° 583, décembre 2006, p. 84-89
Par Francine Kaufmann
André Schwarz-Bart a choisi de ne laisser de son passage charnel sur cette terre qu’un mince filet de fumée blanche et quelques cendres. Il a été incinéré au lendemain de Kippour, le 3 octobre 2006, sur l’île de Grande-Terre, dans cette Guadeloupe qu’il avait choisie pour demeure. On se souvient de la dernière page de son chef d’oeuvre, Le dernier des Justes, consacré au massacre des communautés juives d’Europe : « Ainsi donc cette histoire ne s’achèvera pas sur quelque tombe à visiter en souvenir. Car la fumée qui sort des crématoires obéit tout comme une autre aux lois physiques : les particules s’assemblent et se dispersent au vent, qui les pousse. Le seul pèlerinage serait, estimable lecteur, de regarder parfois un ciel d’orage avec mélancolie. »
Il est parti sur la pointe des pieds, comme il avait vécu. Rien d’étonnant, donc, si les jeunes générations connaissent à peine son nom et si les adolescents d’après-guerre se souviennent de lui comme de l’homme d’un seul livre, ce Dernier des Justes qui s’imposa avec évidence comme prix Goncourt 1959.
Comment expliquer à ceux qui n’ont pas assisté au succès foudroyant et international de ce roman ce que représenta alors le couronnement d’une oeuvre littéraire sur le génocide juif échappant au récit historique ou autobiographique, et capable de parler autant aux Juifs qu’aux non-Juifs, aux Européens qu’aux lecteurs d’outre-mer, aux adolescents qu’aux hommes d’âge mur ? Comment évoquer en quelques lignes la marque indélébile que ce livre imprima dans les esprits, les débats qu’il provoqua dans la presse (durant plus de six mois), et les premières expressions du « devoir de mémoire » qui lui furent associées ? Comment faire comprendre qu’en 1959 la littérature du génocide était encore en gestation, que le procès Eichmann n’avait pas encore eu lieu, que les musées et les départements universitaires d’études de la Shoah n’existaient pas, et que Schwarz-Bart avait suscité une prise de conscience internationale à laquelle seul le succès de librairie du Journal d’Anne Frank (1950) pourrait être comparé ?
Rares sont ceux qui se souviennent aujourd’hui du bouleversement des téléspectateurs de la chaîne unique de télévision française après le passage du futur lauréat du Goncourt dans les incontournables émissions de Pierre Dumayet : Lectures pour tous et Cinq colonnes à la une (octobre et décembre 1959).
À l’époque, l’historien de la littérature Pierre de Boisdeffre annonçait : «Le dernier des Justes pourrait bien être le plus grand roman français paru depuis La Peste d’Albert Camus » (Bulletin bibliographique de l’Éducation nationale n° 33, 19 /11/59).
Certes, André Schwarz-Bart n’était pas totalement tombé dans l’oubli. Le 22 septembre dernier, une semaine avant sa mort, il avait été promu officier dans l’ordre des Arts et des Lettres par le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, en visite en Martinique et en Guadeloupe, qui décernait à son épouse antillaise, l’écrivain Simone Schwarz-Bart, le grade de commandeur. Mais sa dernière grande joie lui a certainement été procurée un mois plus tôt par leur fils Jacques, saxophoniste de jazz établi à New York, qui en éditant, fin août, l’album Soné ka la mariant le jazz et le gwo ka (tambour guadeloupéen), fit une participation remarquée au Festival « Jazz à la Villette ». Tout comme l’avait réjoui la naissance du fils de Bernard, leur autre fils, dont il avait pu choisir le prénom : Élie.
L’homme qui s’est éteint le samedi 30 septembre à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, des suites d’une intervention de chirurgie cardiaque, n’est pas mort en exil. Il avait délibérément choisi de partager l’existence du peuple noir et mulâtre, car l’expérience de la souffrance et de la persécution l’avait ouvert à celles des esclaves noirs déportés d’Afrique, asservis et déshumanisés par l’Occident. Pourtant, il se disait partout étranger, même si, après avoir vécu au Sénégal, en Suisse et à Paris, il gardait toujours gravés au fond de ses yeux pétillants d’intelligence et d’humour les souvenirs du quartier juif du Pontiffroy, sur les bords de la Moselle.
C’est là, dans le Metz d’avant-guerre, qu’il avait vu le jour le 23 mai 1928, sous le nom d’Abraham Szwarcbart. Issu d’une famille d’origine polonaise, sa langue maternelle était le yiddish. Privé d’école par les péripéties de la guerre, il avait dû conquérir le français de haute lutte. Il avait été brûlé à jamais par la déportation en 1942 de ses parents, de deux de ses frères et d’une grand-tante.
André Schwarz-Bart parlait rarement de sa période communiste, de sa lutte dans la résistance et dans l’armée française. Mais on savait qu’il avait été ouvrier, éducateur, étudiant et écrivain autodidacte. Ses premiers essais, il les avait publiés en 1953 dans la revue des étudiants juifs, Kadimah. Dès cette époque, il envisageait de transmuter en oeuvre littéraire le terrible événement qui avait changé sa vie et celle de tant de jeunes Juifs qu’il fréquentait à l’époque, ce désastre qu’on n’appelait pas encore la Shoah mais que l’on comparait au massacre d’un troupeau de moutons qui se seraient laissés conduire à l’abattoir. Il voulait expliquer à ses contemporains que l’héroïsme des combattants du Ghetto de Varsovie et des soldats juifs de Palestine n’était pas supérieur à l’héroïsme spirituel des générations de Juifs qui avaient subi des persécutions sans cesse renaissantes et dont un petit reste avait toujours survécu.
En décembre 1956, il publiait dans La revue du FSJU (qui, le mois suivant, changeait de nom pour s’appeler L’Arche), sous le titre « La légende des Justes », des extraits d’un futur roman nommé «La biographie d’Ernie Lévy». Il y montrait la dignité d’un peuple sans terre et sans armée qui, soumis à l’oppression, refusait d’adopter les armes et la violence de ses bourreaux. Conscient de son audace dans le choix de ses héros, à contre-courant du climat des années 50, André Schwarz-Bart faisait précéder son récit d’un avertissement qu’il devait reprendre, sans en changer une ligne, trois ans plus tard, dans
L’Express, peu après l’attribution du Goncourt (1) :«On me demande pourquoi un roman juif, et pourquoi ce roman-ci, qui s’achève sur la fin du héros et l’anéantissement de son monde. Il me semble que ce n’est ni par manque d’un sujet plus séduisant, ni par goût de la tristesse et de la mort. (…)
Je n’ai pas cherché (mon) héros parmi les révoltés du ghetto de Varsovie, ni parmi les résistants qui furent, eux aussi, la terrible exception. Je l’ai préféré désarmé de coeur, se gardant naïf devant le mal, et tel que furent nos lointains ascendants. Ce type de héros n’est pas spectaculaire. On le conteste volontiers aujourd’hui au nom d’une humanité plus martiale. Il est convenu que le mot de ghetto se prononce avec une pointe de mépris. On voudrait que mille ans d’histoire juive ne soit que la chronique dérisoire des victimes et de leurs bourreaux. Soucieux de l’avenir ou exaltés, nous avons désappris de
respecter notre passé. Mais l’histoire juive, me semble-t-il, est plus qu’une simple addition de victimes, et il s’y manifeste une grandeur jusque dans les destins les plus ordinaires. C’est pourquoi je désire montrer un Juif de la vieille race, désarmé et sans haine, et qui pourtant soit homme, véritablement, selon une tradition aujourd’hui presque éteinte.»
Le texte publié dans L’Arche en décembre 1956 appartenait à la seconde mouture d’un livre qui allait connaître encore bien des métamorphoses. Quelques milliers de pages plus tard, la cinquième version du roman paraissait au Seuil à l’automne 1959, grâce à la perspicacité d’un attaché de presse, Serge Montigny, qui avait remarqué les extraits publiés en 1956 et invité le jeune auteur à soumettre son manuscrit au Seuil. L’Arche, fière d’avoir été la première à publier Schwarz-Bart, déclarait cet été-là, sous la plume de son critique littéraire, l’écrivain juif Arnold Mandel (2) : «C’est un livre marquant dans les annales de la production romanesque, et plus particulièrement dans le si friable domaine de la littérature juive française. Schwarz-Bart ne se contente pas d’avoir du “talent”. Il a profondément le sens du tragique éternel et actuel du destin juif… (Son livre) est une chronique et un midrash de la geste d’Israël aux calendes de Drancy, et encore une eschatologie, une annonciation de ce qui vient de se produire, et que les gens ne comprennent pas en sorte qu’il est besoin de prophètespoètes. »
La dernière version du Dernier des Justes est le résultat d’une lente sécrétion organique qui a fondu en une seule masse uniforme les intentions, les thèmes, les tons et les rythmes des versions précédentes. Un lyrisme traversé d’éclairs d’ironie voilée pour rendre hommage, dans l’esprit de la littérature yiddish, à une communauté hassidique dont il ne reste qu’une tombe de nuages. Puis une ironie cinglante, dans l’esprit des satires voltairiennes, pour fustiger la bonne conscience de la civilisation occidentale, blanche et pieusement chrétienne, conquérante et paternaliste – une ironie mâtinée d’humour noir et macabre, pour échapper à l’auto-apitoiement. Enfin, une narration linéaire qui épouse une architecture savante et pourtant invisible, bien que la première phrase du roman serve d’indice : « Nos yeux reçoivent la lumière d’étoiles mortes ».
Pour comprendre comment Auschwitz a été rendu possible, il faut plonger dans l’histoire passée pour y déceler les signes avant-coureurs de cet événement en apparence sans précédent. On retrouvera donc en fil de trame les événements historiques qui, depuis les croisades, ont accompagné les poussées d’antisémitisme en Occident, sous-tendues par une politique de discrimination, d’humiliation et de massacres. Le fil de chaîne est constitué par la réaction spirituelle des communautés juives cherchant à donner à leurs souffrances une valeur mystique et rédemptrice, même si le doute et l’incroyance s’installent.
Le dessin apparent dans le tissu romanesque est l’histoire d’une famille juive, les Lévy, qui, balayés par le vent des persécutions et des expulsions, errent à travers l’Europe et dont un membre incarne, à chaque génération, le destin collectif. Le génie de Schwarz-Bart est d’avoir fait de ces personnages emblématiques et exemplaires des êtres de chair et de sang, grâce à une documentation solide qui l’a conduit à dépouiller le fonds juif de la bibliothèque Sainte-Geneviève et de toute autre bibliothèque dont il pouvait disposer. De surcroît, il a su marier divers niveaux de lecture qui font des Lévy des héros du Kiddoush Hashem (des «martyrs») mais aussi des guides spirituels, investis malgré eux des pouvoirs accordés aux généalogies de Tsadikim (les Justes de la tradition hassidique).
Ce rôle culmine dans une version très personnelle d’une légende talmudique : il existe, à chaque génération, trente-six Justes qui permettent au monde de subsister. Schwarz-Bart imagine que les Lévy ont reçu héréditairement l’étrange privilège de susciter à chaque génération l’un de ces Lamed-vav (ou, comme il les appelle en yiddish : Lamed-waf). Le premier de ces Lamed-waf serait Yom Tov Lévy de York, mort en martyr le 11 mars 1185 lors d’un massacre suscité par un évêque anglais ; le dernier, notre contemporain Ernie Lévy, déporté à Drancy puis à Auschwitz, disparaît dans un four crématoire après avoir (comme Janusz Korczak) raconté des histoires consolantes aux enfants massés autour de lui dans le wagon plombé. Si chaque épisode a sa source dans un chapitre authentique de l’histoire juive, leur transposition littéraire unifie, condense et magnifie le rôle des héros du roman, les Justes, qui recueillent la souffrance de leurs frères pour l’offrir à Dieu, comme dans la légende traditionnelle de la Coupe des Larmes.
Le mélange subtil d’histoire, de légende et de recomposition littéraire en a gêné plus d’un, incapables d’accepter le « contrat » romanesque. Devenu malgré lui le porte-parole du peuple juif et des victimes de l’univers concentrationnaire, Schwarz-Bart s’est vu dénier ce rôle par certains Juifs qui se disaient les porteurs authentiques de la tradition et les vrais « témoins ».
La polémique suscitée autour du roman et de son interprétation du rôle de la souffrance dans la spiritualité juive a conduit des chrétiens à voir dans «Le dernier des Justes» un roman christique dont seul le Christ aurait été absent. Les sionistes et les associations d’anciens combattants ont aussi cru devoir attaquer le caractère « exemplaire » du roman, qui ne comporte pas de héros résistants et combattants par suite du parti pris de Schwarz-Bart de valoriser la non-violence des communautés de la diaspora. Projeté malgré lui sous les projecteurs, et tenu de rendre des comptes, Schwarz-Bart fut profondément blessé et dépassé par le procès qu’on lui faisait, stupéfait surtout par les attaques des siens. Il partit se réfugier au Sénégal, au fin fond de la jungle, le plus loin possible des salons littéraires du Tout-Paris.
Les années passèrent. André Schwarz-Bart, qui avait épousé en 1961 Simone, une jeune étudiante guadeloupéenne rencontrée en 1956, fignolait un nouveau roman, ou plutôt un cycle romanesque qui devait couvrir sept volumes, La mulâtresse Solitude. Le premier tome, paru en 1967, Un plat de porc aux bananes vertes (cosigné avec Simone Schwarz-Bart), fut un demi-échec. On ne reconnaissait pas le style du chantre de la civilisation juive dans les descriptions réalistes et peu glorieuses d’un hospice parisien où se meurt une vieille guadeloupéenne, Mariotte, ni dans l’association du patois créole et d’un français littéraire. La blessure de l’écrivain, mal cicatrisée, s’ouvrit à nouveau.
Heureusement, c’est ce moment que choisit l’État d’Israël pour réconcilier Schwarz-Bart avec lui-même en lui décernant le 30 mars 1967 le Prix de Jérusalem pour la Liberté de l’Homme dans la Société. Le jury proclamait : «Au combat pour la justification de son propre peuple, il ajoute le souci des autres races opprimées, de tous ceux qui souffrent injustement aux mains de leurs frères dénaturés. La libération et la restauration de la dignité de l’homme noir ne lui paraissent pas moins impératives que le salut du peuple juif. Au nom de tous les hommes en proie à l’exclusion, au mépris, aux tortures du corps et de l’esprit, s’élève la voix dure, indignée, mais aussi pleine de compassion et d’humour triste, du romancier du Dernier des Justes et de La mulâtresse Solitude.»
On mesure mal l’importance qu’accorda Schwarz-Bart à cette reconnaissance par les siens du double message qu’il s’était évertué à marteler. Pourtant, l’accueil presque indifférent réservé au tome qu’il livra en 1972 (signé de lui seul) et qui s’avérait pourtant un véritable bijou littéraire, La mulâtresse Solitude, acheva de le conforter dans sa décision de ne plus publier et de quitter l’Europe pour s’installer définitivement en Guadeloupe. Récemment, quelques jours avant son soixante-quinzième anniversaire (en mai 2003), il me confiait dans un café de Saint-Germain-des-Prés avoir fait fausse route en essayant de parler au nom d’un autre peuple et de rendre un son juste. Et pourtant, quelle amertume dans cette confidence : il se réjouissait d’avoir ramené à la vie une héroïne guadeloupéenne dont il ne restait que trois lignes dans un récit et à laquelle il avait donné une telle épaisseur que les enfants des écoles de Guadeloupe interprètent avec fierté, chaque année, une pièce tirée de son roman. Mais il se désolait que personne n’ait décelé l’architecture complexe de son texte. Il croyait, me disait-il, avoir écrit un livre « réversible », qui, comme un vêtement qu’on retourne, pouvait se lire des deux côtés à la fois : un côté noir et un côté juif.
Déjà, dans le «Plat de porc», il avait donné des pistes au lecteur, que personne n’avait relevées. Cette incompréhension l’avait conforté dans son refus de publier… mais pas d’écrire.
Ce jour-là, il m’avait parlé de son dernier projet, Un chant de vie, un livre en gestation destiné au lecteur de la jeune génération pour lui redonner de l’espoir. Il semblait avoir définitivement abandonné les tomes très avancés du cycle de la Mulâtresse, dont celui où le frère d’Ernie, Moritz, survivant de la dynastie des Lévy, rencontrait la petite-fille de Mariotte.
Quant à l’État d’Israël, il lui gardait son amour, accroché à la radio et aux bulletins d’Internet et toujours prêt à le défendre. Mais pour lui le sionisme (qu’il revendiquait) s’arrêtait à cette identification et à cette solidarité de tous les instants. Il était venu, presque incognito, partager le destin des habitants du pays durant la période d’angoisse de mai et de juin 1967, puis durant la guerre de Kippour. Il refusait, par contre, de s’associer à certaines attitudes triomphalistes ou anti-diasporiques qui caractérisent divers courants en Israël. Il se sentait essentiellement Juif en exil, Juif de nulle part, un Juif ayant perdu son peuple, un éternel étranger.
A-t-il su que l’Institut Yad Vashem de Jérusalem avait choisi, pour clore son circuit sur les camps de concentration, le «Kaddish» révolté qui conclut Le dernier des Justes (« Et loué. Auschwitz. Soit. Maïdanek. L’Éternel. Treblinka. Et loué… »), et que ce «Kaddish» est inscrit en lettres géantes sur un mur de son nouveau musée inauguré en 2005 ?
Il n’est pas étonnant que le père d’Ernie Lévy ait choisi de ne pas avoir de cercueil et de ne laisser de son passage sur terre que des livres, des proches et des amis qui le pleurent. Mais s’il n’a pas détruit ses manuscrits inédits, et si certains devaient être publiés un jour, il se peut que l’on découvre que Schwarz-Bart n’était pas l’homme d’un seul livre mais l’un des plus grands écrivains du siècle dernier, l’un des pionniers de la littérature de la Shoah et de la littérature d’expression universelle.
1. André Schwarz-Bart, Revue du FSJU, décembre 1956, et L’Express, 10/12/59.
2. Arnold Mandel, L’Arche n°32-33, août-septembre 1959.

Références bibliographiques
A. OEuvres d’André Schwarz-Bart
– Le dernier des Justes, Seuil, 1959 ; Livre de Poche, 1968.
– Un plat de porc aux bananes vertes (avec Simone Schwarz-Bart), Seuil, 1967.
– La mulâtresse Solitude, Seuil, 1972 ; Livre de Poche, 1974 ; Collection Points roman, 1983 ; Collection Points, 1996.
– Hommage à la femme noire (essai : six tomes, avec Simone Schwarz-Bart), Éditions Consulaires, 1989.
B. Études sur « Le dernier des Justes »
– Joë Friedemann : « “Le dernier des Justes”, d’André Schwarz-Bart : de l’humour au ricanement des abîmes», in Les Lettres romanes, XLII, 1-2, Université catholique de Louvain 1988.
– Francine Kaufmann : «Le dernier des Justes, d’André Schwarz-Bart : genèse, structure, signification», doctorat de troisième cycle en littérature française sous la direction du professeur Guy Michaud, Université de Paris X-Nanterre, mai 1976.
– Francine Kaufmann, Pour relire “Le dernier des Justes” – Réflexions sur la Shoa, Méridiens-Klincksieck, 1986.
– Francine Kaufmann : « La genèse du Dernier des Justes d’André Schwarz-Bart » Revue des Études juives, CXLII (1-2), 1983.
– Francine Kaufmann : « Un pionnier de la littérature de la Shoah : “Le dernier des Justes” d’André Schwarz-Bart », YOD, Paris III, n°25, 1987.
– Francine Kaufmann : « Entretien avec André Schwarz-Bart », Pardès, n° 6, 1987.
– Francine Kaufmann : « La naissance d’un discours littéraire juif autour de la Shoa en France et en Israël », Pardès n°9-10, 1989.
– Francine Kaufmann : « Les enjeux de la polémique autour du premier best-seller français de la littérature de la Shoah », Revue d’Histoire de la Shoah, n°176, sept.-décembre 2002.
– Patricia Koseleff : «Réception critique du Dernier des Justes d’André Schwarz-Bart, un récit du génocide, en 1959», mémoire de maîtrise de l’Université de Paris III-Sorbonne nouvelle, 1993.
– Malka Marcovich : «La dernière rumeur du Juste», mémoire du diplôme de l’École des Hautes études en sciences sociales, sous la direction du professeur Pierre Nora, 1986.

ENCADRÉ
« Un des plus grands regrets de ma vie »
Extrait d’une interview d’André Schwarz-Bart parue dans Le Nouvel Observateur, le 8 février 1967.
Les Juifs, autant que les autres minorités et groupes en difficulté, doivent – à travers leur combat pour l’existence – vouloir la justice pour tous les hommes. Mais il ne faut pas que leur lutte pour la justice se fasse pour le bien de tous les autres sauf de celui du groupe auquel ils appartiennent. Cela ne s’est jamais vu dans l’histoire du monde. Et pourtant, depuis cinquante ans, c’est exactement ce que l’on exige des révolutionnaires juifs. Qu’ils s’immolent, qu’ils se coupent les veines, mais que chaque fois, toujours, ils
se placent aux côtés de leur agresseur éventuel. L’attitude des progressistes juifs par rapport à Israël est la honte et l’amertume de l’histoire du peuple juif. Un des plus grands regrets de ma vie, c’est précisément en 1947, au nom de la prétendue vraie solution du problème juif, dans le socialisme, de n’avoir pas pris ma place parmi les combattants d’Israël, alors que j’ai su combattre pour la France, contre les Allemands. Cela veut dire clairement que j’étais de l’autre côté.

ENCADRÉ
Juifs et Antillais : une découverte réciproque
En février 1967, L’Arche faisait la couverture de son cent-vingtième numéro avec un portrait d’André Schwarz-Bart et de sa femme Simone. Ce numéro contenait un long entretien avec les époux Schwarz-Bart, présenté en ces termes par Michel Salomon, rédacteur en chef de L’Arche, dans son éditorial : « Les heures que j’ai passées à Lausanne avec André et Simone Schwarz-Bart compteront dans mon existence. Ce couple tranquille et fervent, qui entend construire à la fois une vie et une oeuvre portant un défi au racisme – cette maladie encore si aiguë de notre temps – a quelque chose de profondément émouvant.»
Voici des extraits de l’interview croisée d’André et Simone Schwarz-Bart.
André Schwarz-Bart : Depuis les années 50-51, j’ai été amené à avoir des rapports non superficiels avec des Antillais. Au départ, il y eut une amitié découlant d’une rencontre ; mais j’ai eu aussi des amis yougoslaves ou vietnamiens, et ces rencontres sont restées individuelles, elles n’ont pas dépassé le cadre de l’individu que j’avais devant moi. Alors que, dès les premières rencontres que j’ai eues avec des Antillais, il s’est passé quelque chose de différent. Outre la sympathie pour l’individu, j’ai été aussitôt intéressé par le monde dont il provenait et par toute l’histoire humaine que représentaient ces amis avec
lesquels j’étais en contact. […] Lorsque je me suis trouvé en face de gens qui portaient sur leurs épaules une expérience dont on peut dire, sans vouloir établir de corrélation précise, qu’elle est similaire à la nôtre, cette souffrance les modelant encore aujourd’hui, j’ai éprouvé un sentiment de fraternité que je n’avais jamais ressenti auparavant vis-à-vis des non-Juifs.
Simone Schwarz-Bart : Tout d’abord aux Antilles, je ne savais pas ce que c’était qu’un Juif. Je croyais que les Juifs étaient un peuple de la Bible qui avait existé dans les temps très lointains, et je ne m’imaginais pas qu’il y avait encore des Juifs aujourd’hui. À Paris, au lycée Jules-Ferry, où j’ai fait ma philo, j’ai rencontré une jeune fille juive qui fut d’ailleurs ma seule amie durant cette période. On a eu tout de suite des points communs, elle m’a parlé de la déportation de sa famille, et cela m’a ouvert tout un horizon parce que je croyais, avant, que seuls les noirs étaient des boucs émissaires, qu’ils représentaient le pire, et je ne pouvais comprendre que des Juifs, qui étaient des blancs, soient considérés comme des gens inférieurs. […] J’ai compris que les hommes pouvaient humilier d’autres hommes blancs ou noirs, que c’était dans la nature de l’homme, les noirs n’ayant pas l’exclusivité d’une certaine hostilité.