« Allen v. Farrow » : un documentaire à regarder pour tenter de comprendre ?

Tenter de faire surgir la vérité, ou relayer l’accusation ? Au sujet de ce film en quatre épisodes, réalisé par Kirby Dick et Amy Ziering, et dans lequel les accusations d’agression sexuelle de Woody Allen à l’encontre de sa fille adoptive Dylan refont surface, la question semble se poser. Quoi qu’il en soit, on peut penser qu’en réalisant Allen v. Farrow, les deux documentaristes ont voulu contribuer à lever le voile sur la culture du viol et de l’inceste qui pèse sur Hollywood, comme sur l’ensemble de la société – c’est en effet une des motivations qui sous-tendait déjà leurs autres réalisations.

Depuis les années 90, la polémique qui oppose Mia Farrow à Woody Allen, divisant la famille et les amis en deux clans ennemis, est exposée sans retenue, parfois même avec indécence dans les médias. Une polémique qui a rebondi en janvier 2018, dans le contexte des révélations suscitées par le mouvement #MeToo. En appelant à la conscience de ce mouvement, Dylan renouvelait alors les accusations contre son père. Moses Farrow, quant à elle, apportait une nouvelle fois son soutien à Woody Allen, dans un long post détaillant plusieurs faits propres à innocenter son père… Si l’on aime, avec raison, les films du réalisateur new-yorkais, en France plus encore que dans son propre pays où il est désormais mis au ban de l’industrie cinématographique, on finit  pourtant par se demander qui est l’homme en lui, et ce qui l’aurait poussé à commettre de tels actes indignes sur l’une de ses filles adoptives. Difficile, entre rumeurs qui courent et vérités indiscernables au commun des mortels, de se faire une opinion… alors même que la justice semble avoir tranché, deux enquêtes indépendantes ayant conclu en l’innocence de Woody Allen ?

Faut-il regarder le documentaire ? Le site Les Échos nous parle d’un « document poignant, à la limite du soutenable, là où la justice n’est pas parvenue, et ne parviendra sans doute jamais, à faire émerger la vérité. Réquisitoire qui laisse peu de place au contradictoire, la mini-série documentaire “Allen versus Farrow” est un plongeon vertigineux dans une affaire qui secoue Hollywood depuis plusieurs décennies ».  Mais si le Journal La Croix partage la même indignation à l’égard du personnage, il précise que naît « un sentiment de malaise devant ce qui s’apparente à un grand déballage intime et familial  – on assiste également à des conversations téléphoniques enregistrées – et nous place dans la position désagréable du voyeur. » (Janine Bailly)

Présentation du documentaire, d’après France Inter, le premier mars 2021 

Dès le début de Allen v. Farrow, il est question de « crises de panique, de nuits sans sommeil ». C’est Dylan Farrow qui témoigne. Cette mère de famille de trente-cinq ans n’est autre que la fille adoptive de l’actrice Mia Farrow et du réalisateur Woody Allen. Mia Farrow l’a adoptée seule en 1985 lorsqu’elle avait six mois, Woody Allen l’a adoptée par la suite en 1991 lorsqu’elle avait six ans. Dylan Farrow accuse son père adoptif de l’avoir agressée sexuellement en 1992, alors qu’elle avait sept ans. Ces accusations, niées par Woody Allen, sont l’une des causes de l’explosion de cette famille très nombreuse, aujourd’hui scindée en deux : le camp Mia Farrow soutenant Dylan, et le camp Woody Allen accusant Dylan de mensonges.

Les images sont très rares : le documentaire en effet est construit à partir de nombreuses vidéos familiales tournées par Mia Farrow qui ne quittait pas sa caméra Super 8. Des images d’une famille très nombreuse, joyeuse, qui montrent une relation d’extrême proximité entre Woody Allen et Dylan Farrow. Pourtant, entre les enfants adoptés par Mia Farrow avec son précédent conjoint André Previn, ceux qu’elle a adoptés seule, et Ronan, le fils qu’elle a eu de Woody Allen, neuf enfants vivent sous le même toit. Mais c’est la petite Dylan qui a toutes les attentions de Woody Allen. Chaque image montre un duo père-fille ne se séparant jamais… au détriment de tous les autres enfants, y compris de Ronan, le petit dernier, enfant supposé – sa mère ayant déclaré qu’il pourrait être le fils de Franck Sinatra  – de Mia et Woody, né deux ans après Dylan, en 1987.

« C’est quelqu’un que j’aime plus que n’importe qui. Je l’idolâtrais. Il m’a fallu beaucoup de temps pour me faire à l’idée que l’on peut adorer quelqu’un et en avoir peur en même temps », dira Dylan Farrow. Les témoignages sont glaçants. Deux amies très proches des enfants à l’époque décrivent des scènes très dérangeantes  (…) et rapportent que Dylan ne jouait pas avec les autres enfants quand il était là, car il l’accaparait. Dylan, elle, a cette phrase terrible : « Il me pourchassait »… Mia Farrow témoigne également, tout comme son fils devenu célèbre, le journaliste Ronan Farrow, qui a notamment participé aux révélations sur l’affaire Weinstein, à l’origine du mouvement #MeToo : ils décrivent une enfant qui « se replie petit à petit sur elle même, devient timide, en retrait, très craintive. »

L’enfant, à cinq ans, suit une thérapie, et dira à deux reprises à son thérapeute : « J’ai un secret ». Une célèbre psychiatre, Ethel Person, proche de la famille, alerte Mia Farrow sur l’attitude de Woody Allen envers la fillette. Il consulte lui aussi un thérapeute, qui conclut : « Woody Allen est anormalement intense envers Dylan, mais ça n’a rien de sexuel ». Mia Farrow se dit alors soulagée, d’autant que Woody Allen lui-même lui suggère de le prévenir si elle voit quelque chose de gênant afin qu’il corrige son attitude. Il est cependant demandé de ne jamais laisser Woody Allen seul avec Dylan.

Mia Farrow raconte ensuite ce jour où, dans l’appartement de Woody Allen, elle tombe sur un paquet de photos où Soon-Yi, la fille adoptive de Mia Farrow et du musicien André Previn, est entièrement nue. Woody Allen reconnaît alors « être amoureux » de Soon-Yi… Lorsque Dylan apprend cette relation, elle affirme avoir été soulagée : « Je me suis dit, je ne suis pas seule, ce n’est pas arrivé qu’à moi. »

Le premier épisode de Allen v. Farrow se termine sur ces mots de Dylan. Il n’y est pas encore question des accusations d’agression sexuelle. C’est en effet à la suite de la découverte de ces photos, et au moment où la famille se déchire, que Dylan affirme avoir été agressée sexuellement par son père adoptif dans le grenier, alors que les autres se trouvaient en bas dans le salon. Au moment des faits présumés, la justice a été saisie, en 1993, par Mia Farrow, en guerre contre Woody Allen pour la garde des enfants après son départ avec Soon-Yi. Le juge Elliott Wilk chargé de l’audience a constaté que « le comportement de Woody Allen envers Dylan est déplacé et que des mesures s’imposent pour la protéger ». Selon le site Wikipédia, qui dans la section “vie personnelle” fait le compte-rendu détaillé des faits, le procureur Frank Maco a lui aussi cru la fillette, mais a abandonné les accusations « pour épargner à l’enfant le traumatisme d’un témoignage dans le cadre d’un procès, malgré la présence de raisons suffisantes pour engager des poursuites ». Il a conseillé, par ailleurs, de tenir les enfants éloignés de Woody Allen.

La controverse aujourd’hui dans la presse, où de nombreux journaux s’emparent du sujet

– Woody Allen et sa femme Soon-Yi n’ont pas participé à ce documentaire, qui apparaît aussi comme « la riposte, implacable, du clan Farrow – Mia, Dylan, Ronan… aux Mémoires du réalisateur » : dans son autobiographie, publiée en France en juin 2020 aux Éditions Stock, sous le titre Soit dit en passant, Woody Allen raconte sa vie personnelle et professionnelle, avant de revenir longuement sur « l’affaire Dylan » et l’accusation d’agression sexuelle portée contre lui.

Un point de vue radicalement opposé à celui du documentaire : Woody Allen, une affaire où la véracité des faits ne semble guère intéresser.

– Le journal Le Monde parle d’une  enquête puissante, mais incomplète, sur l’affaire Allen-Farrow. « Mais pour imparfaite qu’elle soit, la série ébranle un certain nombre de certitudes et s’avère dévastatrice pour Woody Allen. »

– Le Figaro s’exprime sur la question et donne la parole à Woody Allen et Soon-Yi Prévin
L’avis d’Eric Neuhoff : Allen vs Farrow, le film glaçant sur les accusations d’inceste visant Woody Allen : « La série documentaire américaine inédite recueille les témoignages accablants de la fille et de l’ex-compagne du réalisateur. Un récit terrifiant, mais qui ne donne hélas la parole qu’au clan Farrow. Si ce qu’on entend est vrai, c’est horrible. Si tout est inventé, c’est encore pire. »
Woody Allen et Soon-Yi Prévin, à la suite de la diffusion du premier épisode, dimanche, ont réagi par l’intermédiaire de leurs avocats, dans les colonnes du Hollywood Reporter. « Les documentaristes n’ont pas cherché à connaître la vérité, ont-ils expliqué. Au lieu de cela, ils ont passé des années à collaborer avec les Farrows pour mettre sur pied un travail rempli de mensonges. »

Le premier épisode de Allen v. Farrow a été diffusé sur la chaîne américaine HBO dimanche 21 février, et le deuxième ce dimanche 28 février. En France, la chaîne OCS diffusera ces deux premiers épisodes ce lundi soir, les autres épisodes les deux lundis à venir.

Fort-de-France, le premier mars 2021