Affaire Obono : derrière la polémique, l’échec de la France à reconnaître son passé esclavagiste

— Par Benjamin Dodman —

La polémique sur la publication de Valeurs actuelles, dépeignant la députée noire Danièle Obono comme une esclave enchaînée, a jeté une lumière crue sur l’héritage trouble de l’esclavage en France. Le pays a en effet davantage l’habitude d’évoquer son passé abolitionniste que la lucrative traite des esclaves à laquelle il a participé.

Un article de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, publié jeudi 28 août, a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux et la condamnation ferme et unanime de l’ensemble de la classe politique française. Intitulé « Obono l’Africaine, où la députée insoumise expérimente les responsabilités des Africains dans les horreurs de l’esclavage », l’article – une partie du roman d’été de l’hebdomadaire – dépeint, sous couvert d’un récit de fiction, la députée de la gauche radicale en tant qu’esclave du XVIIIe siècle.

Représentée enchaînée au cou par un carcan, la parlementaire d’origine gabonaise sert d’illustration à une histoire imaginaire dans laquelle elle retourne sur son « continent ancestral » à l’époque de la traite négrière. L’image a immédiatement fait polémique, et relance la question du rapport de la France à son passé esclavagiste

L’esclavage, un passé « largement dissimulé »

Le 14 juin dernier, dans le sillage des manifestations antiracistes déclenchées par la mort de l’Afro-américain George Floyd aux États-Unis, le président français Emmanuel Macron avait promis d’être « intraitable face au racisme, à l’antisémitisme et aux discriminations ». Mais le chef de l’État avait aussi insisté : « la République n’effacera aucun nom, aucune trace de son histoire, elle ne déboulonnera aucune statue ». Des propos affirmés après que plusieurs monuments, honorant des figures de la traite négrière ou de ses défenseurs, ont été dégradés ou déboulonnés. La « noble cause » de l’antiracisme « est corrompue quand elle se transforme en (…) communautarisme et en réécriture haineuse et fausse de notre histoire », avait ajouté le président français.

Selon Carole Reynaud-Paligot, historienne spécialiste du colonialisme, les paroles d’Emmanuel Macron ont été une « occasion manquée » d’établir les faits sur un chapitre sombre de l’histoire de la France. « Tous les États-nations ressentent le besoin d’établir un récit national qui glorifie leur passé », affirme la chercheuse. « L’esclavage ne correspond pas au discours de la France sur le pays des droits de l’Homme, il est donc largement dissimulé. Au lieu de cela, le récit français parle d’un pays qui a fait beaucoup de bien à ses colonies et a mené la lutte pour l’abolition de l’esclavage. »

« Roman putride »

Les réécritures haineuses de l’histoire de France ont pris une tournure particulièrement sinistre avec la publication de Valeurs actuelles. « L’extrême droite – odieuse, bête et cruelle », a réagi Danièle Obono dans un tweet, décrivant plus tard l’article comme « une insulte à [mes] ancêtres » et « une insulte à la République ». La députée a également dénoncé une attaque politique contre ceux qui luttent contre « le racisme [et] la stigmatisation dont sont victimes des millions de nos compatriotes ».