A quoi s’attendre pour l’année 2021, alors que l’horizon s’assombrit en dépit des apparences ?

— Par Jean-Marie Nol, économiste —

Face au choc imprévisible de la crise du Covid 19, les derniers mois de l’année 2020 ont conduit l’économie de la Martinique et de la Guadeloupe en territoire inconnu. Les agents économiques, lourdement endettés, se retrouvent dans une situation financière délicate. La violence d’une telle crise pourrait représenter beaucoup plus de dégâts que la crise sociale de 2009 .Toutefois, plus globalement un danger devient certainement de plus en plus menaçant à l’heure actuelle : notre dépendance durable à la dette publique et notre incapacité à juguler les déficits de nos collectivités locales.
Cette hypertrophie de la dette et le laisser aller dans les déficits est sans doute le talon d’Achille des économies avancées. À la veille de la crise sanitaire de 2020, tous les ingrédients semblaient déjà réunis pour renforcer cette crainte. Pour l’heure, une autre crise se prépare, en cas d’une hausse des taux d’intérêts, à l’horizon 2021 /2022.
Mais pas que la crise de la dette , car tout d’abord, il faudra s’attendre à ce que la France hexagonale affronte le « mur des faillites » avec pour conséquence un Gap de 300.000 chômeurs de plus en catégorie A.
Selon l’assureur Euler Hermes, le nombre de faillites va passer de 33 000 en 2020 à 50 000 en 2021 puis 60 500 en 2022. Environ des centaines de milliers d’ emplois seraient ainsi détruits en 2021, estime Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Ensuite nous allons devoir nous y faire au spectre d’une crise bancaire va bientôt planer sur nos têtes . Une situation ubuesque balayant tous les abaques historiques.
Tout porte à croire que 2021 ne sera pas le retour à « la normale » tant attendu par certains, mais la poursuite d’une situation « anormale » ou plutôt d’une nouvelle normalité. D’autant que sur le front de l’économie, les nouvelles ne sont guère plus réjouissantes et les risques de tensions bancaires et financières malheureusement bien réels.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Les données sont vertigineuses : La dette mondiale totale a augmenté en un an de 15.000 milliards de dollars (ou 15 billions), pour atteindre 277 billions, soit 365% du PIB mondial, contre 320 % un an avant. Cette dette est passée en un an, dans les pays développés, de 380% du PIB à 432%. Aux Etats-Unis, elle est passée de 71 à 80 billions et la seule dette publique atteint 101, 5% du PIB, ratio le plus élevé depuis 1945. Dans l’Union Européenne, ce même ratio est passé de 86.2% à 95%. Dans les pays en développement, il a augmenté de 26 points en un an. La dette mondiale des entreprises, elle, atteint 22 billions et celle des ménages devient partout vertigineuse.
En France , la dette publique devrait atteindre 120% du PIB d’ici fin 2020, et largement dépasser les 2600 milliards d’euros en 2021. Le gouvernement a par ailleurs bien précisé que ce bond, d’un peu plus de vingt points de pourcentage (98,1% du PIB fin 2019, 119,8% fin 2020) serait remboursé, mais pas grâce à une augmentation de l’impôt des ménages. Mais qu’en sera-t-il vraiment à l’avenir une fois passée les flonflons de l’élection présidentielle ?

Le temps nous le dira bientôt, mais une chose est sûre, c’est que l’incertitude va continuer au moins pendant les trois prochaines années en raison de l’immense crise économique et sociale, qui ne fait que commencer. Qui paiera la facture , à la fin ?
Cette question du « qui paiera » sera un enjeu majeur dans l’optique de la campagne présidentielle de 2022 .
Mais pour l’heure, nous sommes confronté à un avenir fait d’incetitudes et d’inquiétude, pour le dire diplomatiquement , sur les problématiques de la croissance, l’emploi, et la consommation… Ainsi pour la Banque de France, il faudra attendre 2022 pour constater un retour à la normale de l’activité économique.
Alors que le gouverneur de la Banque de France met en garde les banques sur une dégradation de l’activité économique en France , l’Autorité bancaire européenne appelle, quant à elle, l’ensemble du secteur à se préparer à une potentielle crise du fait de l’explosion des risques d’impayés. Même discours du côté de la Banque centrale européenne qui évalue à terme le montant des créances douteuses à 1 400 milliards, c’est-à-dire bien plus que lors de la crise de 2008 et de celle de la crise des dettes souveraines de 2011.
Cette situation était malheureusement prévisible. Nous en avions averti du risque sérieux dans un précédent article et mis l’accent notamment sur le contrecoup pour la Guadeloupe et la Martinique.
Cette fois-ci, la crise bancaire ne sera pas entièrement attribuable au comportement des banques comme lors de la crise financière de 2008 , mais viendra en grande partie de l’économie réelle. En effet, lors de la crise sanitaire, les gouvernements ont choisi de compenser l’absence d’activité du secteur privé du fait des confinements par un accès facilité aux prêts à savoir les fameux PGE. C’est là que fut l’erreur, il aurait fallu passer par l’octroi massif de subventions ou par de la monnaie hélicoptère comme l’économiste aurore Lalucq le suggèrait dans les colonnes d’un grand quotidien.

En effet, dans une situation où nombre d’entreprises, de petits commerces, de lieux de culture, d’hôtels, de bars et de restaurants ont été privés d’activité pendant une partie de l’année, comment espérer que ceux-ci remboursent les prêts accordés ?

Pour le secteur bancaire, le risque, cette fois-ci, n’est plus celui de l’absence de liquidité – comme en 2008 – mais de solvabilité. Rappelons qu’il suffirait que les pertes des banques soient supérieures à 5,6 % (niveau actuel de la part des fonds propres à leur bilan) de l’ensemble de leurs actifs pour qu’elles se retrouvent dans de sérieuses difficultés.
Selon nous, il n’y a pas de crise sans conséquences et il s’agit ici de conséquences malheureuses mais inévitables liées à la pandémie de coronavirus. La philosophe Hannah Arendt disait qu’« il n’y a rien de pire qu’une société de travail sans travail ». De même, il n’y a rien de pire qu’une société de croissance sans croissance.
« Prudente et entourée d’incertitudes », comme l’ont souligné les experts de l’Insee dans leurs prévisions pour 2021, la reprise économique l’an prochain devra composer avec plusieurs inconnues majeures. Parmi elles, quatre sont particulièrement surveillées par les économistes , car elles détermineront en partie le rythme du rebond : l’accélération des défaillances d’entreprises, l’évolution du marché du travail et la hausse du chômage, le niveau de la consommation et de l’épargne. L’accroissement des inégalités, qui résulte notamment des points précédents, revêtira pour sa part une dimension politique. Nous vivons déjà en Martinique et en Guadeloupe dans la conspiration du silence des élites économiques , de la médiocrité du politique . Et il n’y a pas de pire poison que la médiocrité.
Aujourd’hui, avec une réussite qui n’est pas toujours fondée sur le mérite, nous sommes tombés dans un système de médiocratie, c’est-à-dire un système politique qui encourage les médiocres et qui fait la promotion de l’incompétence. Le principe du mérite a disparu au profit du népotisme et du copinage, et cela suscite moult bisbilles dans nos régions .
Si on ne fait rien, si on ne déclenche pas au plus vite une mobilisation générale autour d’un projet de société novateur, qui donne la priorité des investissements au secteur de la production, c’est un tsunami qui nous menace : celui du déclin accéléré de l’économie martiniquaise et guadeloupéenne qui viendra inévitablement quand il sera impossible de réformer positivement le cadre consumériste de la départementalisation. La société issue de la départementalisation s’efface déjà peu à peu pour laisser place à une société de services, qui sera régie, grâce à la 5G, par des algorithmes mais aussi… par l’intelligence artificielle. Le danger de la suppression de milliers d’emplois est déjà patent. C’est désormais dans l’air du temps et la question d’une décennie !
Et de fait, au cours de l’année prochaine, les raisons objectives de se décourager seront plus nombreuses encore que pendant les années précédentes. Pour l’économiste Jacques Attali, la clé est dans une phrase simple : « vivement après-demain ». Autrement dit, il faut tenter de visualiser un nouveau modèle économique et social , alors même que s’annoncent des heures sombres, des déceptions, des mauvaises surprises, des catastrophes, des descentes aux enfers, qu’un autre avenir est peut-être possible à une condition celle de renoncer à notre droit ancestral à l’insouciance.
Car , l’insouciance peut être catastrophique, si elle est un refus de penser à l’avenir, une préférence absolue pour le passé , une négation du risque présent, un non respect de nos devoirs à l’égard des générations futures.
Je plaide ici et maintenant en faveur d’un nouveau paradigme économique pour sortir positivement de la crise provoquée par la pandémie de Covid-19. Je pense à un autre type de société future où la Martinique et la Guadeloupe doivent maintenant relever le défi de jeter les bases d’une nouvelle et meilleure normalité , ce qui suppose d’adopter des stratégies visant à créer plus d’emplois de meilleure valeur ajoutée à mesure que la production locale reprendra des couleurs et que l’urgence sanitaire ira en diminuant avec la vaccination de tous.
Il est maintenant essentiel de parvenir à une croissance économique accompagnée d’emplois et ce pour faire pièce à l’assistanat. L’emploi est crucial pour réduire la pauvreté et freiner le creusement des inégalités.
Mais, pour répondre à ce challenge , on ne peut continuer à regarder en arrière, tout en s’accrochant à des certitudes d’antan, dans la mesure où nous sommes en train de vivre une mutation de longue durée, comme celle de la révolution industrielle du XIXe siècle.

 » Fò pa nou pwan clindindin pou zetoil « 

Jean-Marie Nol économiste