A l’intention de ceux qui nous suggèrent de continuer à tourner dans le bocal

— Le Billet du CNCP —

« Avant de parler d’évolution statutaire, il faut relancer l’économie du pays !» ; « la seule position réaliste est de demander aux autorités françaises et européennes de changer de paradigmes et de respecter nos spécificités ! » ; « Les ‘séparatistes’ ne prennent pas en compte les difficultés immédiates de la population ! » « De toute façon, l’indépendance ne risque pas de faire recette » vu que les « Ti-sonson*» ne seront jamais assez « mûrs » pour comprendre la nécessité de la libération nationale. Voici en gros, l’argumentation qui a longtemps prévalu pour ceux qui combattent les partisans de l’indépendance nationale de notre pays. Dirigeants de partis rompus à la politique, diplômés en économie, en histoire ou en droit, ils ne peuvent être soupçonnés d’être dénués d’instruction ou d’intelligence. Que cache donc leur rhétorique ?

* Pour peser le premier argument, il convient de rappeler ce qu’est un statut politique et quels sont les rapports entre statut et économie.

 Le statut d’un pays, c’est le cadre politique dans lequel évolue sa société. La Martinique par exemple, a d’abord été une colonie directe de la France avant d’en devenir un Département avec la Loi d’assimilation du 19 mars 1946. Quand la France a instauré la régionalisation en 1983, elle a fait de notre pays une « région mono-départementale », hérésie qui le paralysait. (Ce qui n’empêchait pas à nos anti-séparatistes de s’opposer à toute évolution institutionnelle). Chaque fois que des aménagements ont été consentis par le pouvoir colonial – toujours à la marge – , c’est à la suite de mouvements exprimant l’exaspération des couches populaires. Ce fut notamment le cas après les émeutes de Décembre 1959 et, plus récemment, à la suite des mobilisations massives de 2009 qui ont engendré le processus menant à l’instauration de la CTM .

Qui pourrait sérieusement contester que tous ces changements de statut, n’ont jamais remis en cause les rapports de domination coloniale imposés par la France à notre pays. La continuité est manifeste sur les plans politique et surtout économique. (Administration directe du pays par les cadres français, monocultures et exportation de produits destinés à servir les besoins de la métropole coloniale, etc.)

Dans le contexte actuel, les marges de manœuvres des élus locaux sont de plus en plus réduites et aucune instance locale ne peut disposer de leviers lui permettant d’agir globalement sur l’économie. Aux politiques spéculatives des banques étrangères et à l’ultralibéralisme qui livre les marchés aux multinationales, viennent s’ajouter les normes inadéquates qui nous sont imposées par l’Union Européenne.

Il est absolument incontestable que c’est le statut d’un pays qui ouvre à celui-ci la possibilité d’agir ou non, dans un sens ou dans un autre et ce, quelque soit les domaines concernés (culture, relations avec les autres pays – de la Caraïbe, par exemple – et, évidemment, économie). Tout dépend des pouvoirs dont disposent les dirigeants locaux (politique, législatif, fiscaux, en matière de commerce extérieur, etc).

Tout cela, nos  docteurs – es – développement – économique ne peuvent pas ne pas le savoir ! Pourquoi prétendent-ils alors qu’on pourrait régler les problèmes économiques de notre pays dans le cadre d’un statut instaurant des freins dans tous les champs de pouvoir et d’action. Qu’ils nous l’expliquent à nous les « ti-sonson » !

* Venons-en au deuxième argument : « La seule position réaliste, déclarent nos anti-indépendantistes, est de demander aux autorités françaises de changer de paradigmes et de respecter nos spécificités ! » 

Ainsi donc le gouvernement français et la Commission Européenne pourraient être des dirigeants neutres, capables de se laisser attendrir par les doléances des colonisés ! Nos quémandeurs d’habilitations et autres dérogations ne se doutent-ils pas que ces autorités là sont plus sensibles aux chuchotements des multinationales et des lobbies fortunés ? Ignorent-ils les dogmes de la politique ultralibérale qui sont imposés sans état d’âme aux classes exploitées et aux pays dominés ? Ont-ils conscience que, dans le monde d’aujourd’hui, les impérialistes occidentaux font bloc autour des USA pour conserver leur hégémonie et manifester leur suprémacisme ?

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* « Les ‘séparatistes’ ne prennent pas en compte les difficultés immédiates de la population ! »

Quant à ce troisième argument, il pue la mauvaise foi. Personne ne peut nier que dans notre pays, la plupart des organisations populaires – centrales syndicales, écologistes, comités de lutte divers, groupes culturels, (etc.) – sont impulsées par des militants indépendantistes. Leur particularité est précisément d’accompagner la population dans les luttes pour la défense de leurs intérêts immédiats et l’amélioration de leurs conditions de vie. Ce sont, au contraire, les partisans du statu-quo, qui contribuent à perpétuer les difficultés quotidiennes des couches populaires en entretenant chez elles l’illusion que leur sort pourrait être amélioré dans le cadre actuel en faisant confiance aux promesses du pouvoir colonial, en obtenant la compréhension de l’Europe ou en attirant des investisseurs !

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* Arrêtons-nous maintenant sur le quatrième « argument » : « De toute façon, l’indépendance ne risque pas de faire recette » vu que les « Ti-sonson» ne seront jamais assez « mûrs » pour comprendre la nécessité de la libération nationale.

Cet « argument » là, nous n’avons cessé de l’entendre depuis des décennies et, hélas, venant principalement de partis dits de gauche et anti-colonialistes. Selon eux, le peuple n’est jamais prêt pour quoi que ce soit ! Jadis, il ne fallait pas lui parler d’autonomie pour ne pas perdre de voix aux élections ! Aujourd’hui, Il n’est pas prêt à entendre parler de notre drapeau national !

On aura compris que ce sont les faux prophètes eux-mêmes qui ne sont pas prêts à voir le peuple s’engager dans la lutte de libération nationale. Leurs arguments ne sont que des prétextes fallacieux brandis pour cacher leurs choix politicien et assimilationniste. C’est la peur de ce qu’ils appellent « l’aventure » qui les paralyse : peur des sacrifices que demande le combat contre les oppresseurs, pour la dignité  et pour la reconstruction d’un pays; peur de mettre en danger leur statut social et les revenus qui y sont liés.

Il existe aussi des représentants de l’élite Martiniquaise qui idéalisent la République Française et qui essaient de persuader les dirigeants de celle-ci qu’ils gagneraient à collaborer avec eux. N’est-ce pas Aimé Césaire lui-même qui, en 1953, interpelait le gouvernement français à l’Assemblée Nationale Française  en ces termes :  « Pour ma part cela me rappelle la politique qui a été suivie en Indochine et vous savez de quel prix vous payez la politique absolument imprudente qui a consisté à vous aliéner les sympathie de l’élite des populations indochinoises. » (Intervention rapportée dans le journal « Justice » du 16 juillet 1953)

Enfin, et c’est le plus dramatique, de nombreux anti-indépendantistes sont victimes d’une profonde aliénation qui les conduit à déifier la civilisation du maître, à s’auto-dénigrer et à concevoir que notre pays ne peut être dirigé que par des leucodermes. En bons schizophrènes, ils ne perdent jamais une occasion de répéter qu’ils n’ont aucun problème à être à la fois Martiniquais, Caribéen, Français et Européens.

Le pouvoir colonial français a largement prouvé, tout au long de l’histoire, qu’il n’a aucunement l’intention de lâcher quelque pouvoir d’auto-détermination que ce soit au bénéfice des peuples colonisés. Le contrôle du CFA en Afrique, la répression des militants de l’OJAM, les référendums biaisés en Kanaky, le kidnapping de l’île Mayotte suffisent à illustrer cette vérité.(* voir annexe)

Mais de toute façon, la conjoncture internationale est là pour nous rappeler combien sont mortifères toutes les formes de dépendance, avec quelle férocité les impérialistes occidentaux, dont la France, entendent soumettre les peuples et l’urgence qu’il y a d’entamer toutes les ruptures qui permettront à ces derniers de construire un monde alternatif.

Oui, il nous faut sortir du bocal ! Oui, nous devons nous battre pour exercer notre droit à l’auto-détermination ! Oui, l’indépendance nationale et une véritable souveraineté populaire restent des conditions essentielles à notre émancipation en tant que Peuple.*

* «Ti-Sonson » incarne dans la bouche méprisante des « sachant », les Martiniquais et Martiniquaises « lambda » qui ne font pas partie de leur élite.

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* Annexe :

« Aux cultivateurs esclaves :  La liberté va venir ! Courage, mes enfants ! Vous la méritiez. Ce sont de bons maîtres qui l’ont demandée pour vous. »

( Extrait du journal officiel de la Martinique du 5 avril 1848)

Les 22 et 23 mai, près de deux mois plus tard, nos ancêtres esclavagisés imposaient l’abolition de la servitude par l’insurrection. C’est une façon de rappeler que le calendrier du pouvoir colonial n’a jamais été celui de notre Peuple.