À 11h31 le 10 novembre, les femmes cessent d’être payées

Révoltons-nous contre ce compte à rebours

Travailler « gratuitement » : le prix de l’injustice

Ce lundi 10 novembre à 11h31, les femmes françaises commenceront symboliquement à travailler « gratuitement » jusqu’à la fin de l’année. L’expression, reprise chaque automne par la newsletter féministe Les Glorieuses, ne relève pas de la provocation : elle met en lumière une réalité mesurée, chiffrée, persistante. En 2025, les femmes gagnent encore 13,9 % de moins que les hommes. Autrement dit, pour chaque euro versé à un homme, elles perçoivent 86 centimes.

Cette date symbolique résulte d’un simple calcul : rapporter cet écart de rémunération au nombre de jours ouvrés de l’année. Et le constat est sans appel : malgré neuf ans de mobilisation, les progrès sont si lents qu’à ce rythme, l’égalité salariale ne serait atteinte qu’en 2167. Cent quarante-deux ans d’attente pour que le travail des femmes soit reconnu à sa juste valeur !

Une stagnation masquée derrière de faibles avancées

On pourrait se féliciter que la date du « travail gratuit » ait reculé de quatre jours par rapport à l’an dernier. Mais ces quelques heures symboliques ne sauraient masquer une stagnation structurelle. Depuis une décennie, l’écart salarial n’a diminué que de quelques points, alors que les femmes représentent désormais plus de la moitié de la population active.

Les explications sont connues : 30 % des femmes travaillent à temps partiel, contre 8 % des hommes. Ce déséquilibre n’est pas le fruit du hasard ; il traduit l’incapacité des politiques publiques à soutenir une répartition équitable du temps de travail et des tâches domestiques. La maternité, la charge mentale, la précarité de certains emplois continuent de peser sur la carrière des femmes. Et lorsque celles-ci parviennent à briser le plafond de verre, elles se heurtent à une autre forme d’injustice : les primes et variables de rémunération, plus fréquentes et plus élevées chez les hommes cadres.

Des métiers féminisés sous-évalués

À cela s’ajoute un paradoxe économique et moral : les professions à prédominance féminine – infirmières, sages-femmes, enseignantes – sont parmi les plus essentielles à la société, mais aussi les moins bien rémunérées. Comme si le soin, l’éducation ou la transmission, souvent considérés comme des prolongements du rôle maternel, justifiaient un salaire moindre.

Cette sous-valorisation du travail des femmes est une construction sociale profondément ancrée. Elle ne disparaîtra pas d’elle-même. Elle exige une révision des priorités économiques, une volonté politique et un engagement collectif.

Pour que l’égalité cesse d’être une promesse lointaine

Rebecca Amsellem, économiste et fondatrice des Glorieuses, propose plusieurs leviers concrets : conditionner l’accès aux marchés publics et aux subventions au respect de l’égalité salariale ; instaurer un congé parental équivalent et bien rémunéré pour les deux parents ; et revaloriser les métiers à forte présence féminine. Autant de mesures simples, pragmatiques et nécessaires pour corriger des décennies de déséquilibres.

Mais ces propositions ne suffiront que si les entreprises, elles aussi, repensent leurs modèles d’organisation. « C’est au marché du travail de s’adapter à la vie des femmes, et non l’inverse », rappelle Amsellem. Tant que les carrières seront construites sur le modèle masculin du temps plein continu, les écarts se reproduiront.

En somme, le 10 novembre à 11h31 n’est pas qu’une date symbolique ; c’est un miroir tendu à notre société. Il nous rappelle que l’égalité salariale n’est pas une faveur à accorder, mais une dette à honorer. Tant que cette dette ne sera pas payée, les femmes continueront, chaque automne, à travailler « gratuitement » pour combler le silence des chiffres.

Sarha Fauré