Audrey Diwan sacrée à la Mostra de Venise

La réalisatrice française, Audrey Diwan, a remporté, ce 11 septembre, le Lion d’Or pour son film, “L’événement”.

Adapté du récit autobiographique éponyme de la romancière Annie Ernaux, le film L’événement, cru, intimiste et féministe, se déroule dans la France des années 1960. Il a pour figure centrale une jeune femme qui avorte clandestinement, alors que l’avortement maintenu “hors la loi″ est encore puni de prison, pour celles qui y ont recours comme pour celles ou ceux qui le pratiquent : il faudra attendre 1975 pour qu’il soit dépénalisé. « C’est triste d’être certain qu’on sera toujours dans l’actualité en travaillant sur le sujet », a déclaré la réalisatrice.

L’intrigue suit le parcours d’une jeune étudiante insouciante, interprétée de façon magistrale par une actrice franco-roumaine de vingt-deux ans, Anamaria Vartolome. Lorsqu’elle découvre qu’elle est enceinte, la jeune femme, Anne, voit son futur compromis : pour elle, issue d’une famille prolétaire, interrompre les études commencées serait condamner sa seule chance de se construire un avenir hors de son village natal, serait fermer la porte entr’ouverte, ne pas échapper au déterminisme social, se soumettre à un destin par avance tracé… En vain, elle cherche de l’aide, mais ne trouvera personne auprès d’elle, ni médecins, ni amis, ni partenaire, ni professeurs… Le film, c’est aussi, par le biais de son héroïne, l’histoire de la France en 1963, le drame d’une société qui condamne le désir des femmes, et le sexe en général. Une histoire simple et dure retraçant le chemin de qui décide d’agir contre la loi. Anne a peu de temps devant elle, les examens approchent, son ventre s’arrondit…

« Mon idée ce n’était pas de regarder Anne mais de tenter d’être elle, de rentrer dans son corps », dit Audrey Diwan. « J’ai fait ce film avec colère et désir, je l’ai fait avec mon ventre, avec mes tripes… Je voulais que ce soit une expérience, un voyage dans la peau de cette jeune femme ». C’est pourquoi L’événement, se voulant au plus près de la réalité, au plus vrai de ce calvaire enduré par les femmes qui devaient, au péril de leur vie, avorter clandestinement, pourra à certains sembler âpre et éprouvant. Ainsi de ce long plan-séquence, cadré au plus près du personnage, durant lequel Anne tente de se faire avorter. Anamaria Vartolomei, qui trouve là son premier grand rôle, dit avoir voulu « se mettre vraiment à sa place », expliquant ainsi sa propre démarche d’actrice : « Je me suis dit OK, on a vingt et un ans toutes les deux, qu’est-ce que c’est pour une jeune fille d’avorter ?… Moi, j’ai la chance d’avoir des droits, acquis mais qui sont encore fragiles. Je l’ai défendue avec le plus d’intérêt possible, parce que c’est terrible, elle doit choisir entre ses études, sa carrière ou sa vie. C’est injuste ! »

La réalisatrice :

Audrey Diwan, dont c’est le second film après Mais vous êtes fous (2019), est aussi journaliste, romancière et scénariste. Elle a co-signé les scénarios de Bac Nord et de La French puis est passée à la réalisation. Le Lion d’Or lui a été décerné à l’unanimité par le Jury que présidait le réalisateur Sud-Coréen Bong Joon-Ho. Elle succède à la Sino-Américaine Chloé Zhao, couronnée l’an dernier pour Nomadland avant de triompher aux Oscars. Avec cette nouvelle distinction, décernée à l’unanimité, l’ouverture très progressive des palmarès les plus prestigieux aux réalisatrices semble se confirmer : en juillet, le Festival de Cannes avait distingué une jeune réalisatrice française, Julia Ducournau, Palme d’Or avec l’ovni Titane, un film féministe qui dynamite à sa façon les frontières entre les genres. À rappeler que cette Palme a été, pour la deuxième fois seulement dans l’histoire du festival, décernée à une femme : ainsi que l’a souligné Audrey Diwan, « quelque chose est en train de changer. Une femme a gagné l’Oscar, une femme a gagné la Palme d’or, une femme a gagné le Lion d’Or. Ça signifie forcément quelque chose, ça ne peut pas être le hasard. »

L’actrice :

Née en Roumanie à Bacau, Anamaria a vu ses parents partir pour la France à l’âge de deux ans. Son père travaille dans le bâtiment et lorsqu’elle a six ans ses parents gagnent assez d’argent pour la faire venir avec eux, à Issy-les-Moulineaux, en banlieue parisienne.

C’est à l’école qu’elle découvre le théâtre avant de s’inscrire à un casting pour un film d’Eva Ionesco, My Little Princess, où elle jouera à l’âge de dix ans. Douze ans plus tard, elle dit avoir envie d’attaquer « des rôles de plus en plus riches, compliqués, nuancés, casse-gueule, ambigus ». Pour cela elle se sent prête.

La Mostra de Venise : « Un mur de Berlin est en train de tomber », a déclaré Jane Campion, à propos de la présence des femmes au palmarès.

Après une édition 2020 en demi-teinte, marquée par la pandémie et par l’absence de films importants en compétition, la Mostra de Venise, le plus ancien des festivals de cinéma au monde, a retrouvé tout son lustre. Et son influence s’est une fois de plus mesurée à l’aune des stars américaines, qui se sont pressées sur le tapis rouge du Lido, devenu au fil des années une rampe de lancement avant la saison des Oscars. Matt Damon et Ben Affleck ont monté les marches pour Le dernier duel, de Ridley Scott, quelques jours après les vedettes de Dune : Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac et Javier Bardem.

Dans le Palmarès, établi par le jury du Sud-Coréen Bong Joon-Ho – lui-même Palme d’Or à Cannes en 2019 avec Parasite – plusieurs films sont marqués par les problématiques féministes : c’est le cas de Pouvoir du Chien, de Jane Campion, qui a permis à la Néo-Zélandaise de remporter le Prix de la meilleure réalisation, vingt-huit ans après sa Palme d’Or pour La leçon de Piano en 1993. Le film, huis clos étouffant dans un monde de cow-boys, avec Benedict Cumberbatch et Kirsten Dunst, aborde la question de la masculinité, exacerbée et toxique.

D’autres femmes sont distinguées par les différents jurys : côté interprétation, Penélope Cruz se voit décerner la coupe Volpi de la meilleure actrice pour son rôle dans Madres Paralelas Mères Parallèles, de Pedro Almodóvar. Le film suit le destin de deux mères qui tombent enceintes par accident et accouchent au même moment, mais n’ont pas la même vision de l’éducation et de la maternité. Laure Calamy, César 2021 pour son rôle dans Antoinette dans les Cévennes, obtient le prix Orizzonti de la meilleure actrice. Ce jury spécial, présidé par Jasmila Žbanić, a apprécié son interprétation de Julie dans le film À Plein Temps d’Éric Gravel, une femme qui tente tant bien que mal d’élever ses deux enfants à la campagne, tout en essayant de garder son job dans un palace parisien. Quant à Maggie Gyllenhaal, elle reçoit le prix du meilleur scénario pour The Lost Daughter, où l’on voit les vacances à la mer d’une femme prendre une tournure dramatique quand son obsession pour une jeune mère la force à affronter ses propres secrets.

La romancière :

Annie Ernaux est une romancière française qui travaille essentiellement sur le matériau autobiographique. Elle a notamment écrit Passion simple, Une femme, La honte, L’événement, et La place, livre pour lequel elle a obtenu le Prix Renaudot en 1984.

Deux de ses œuvres viennent d’être adaptées avec succès pour le grand écran : L’Événement, par Audrey Diwan, et Passion simple, par Danielle Arbid : Une femme, Hélène (Laetitia Dosch), fait l’amour avec un homme, Alexandre (le danseur ukrainien Sergei Polunin), et elle en jouit. Elle raconte en voix off ce que fut leur relation adultère pendant plus d’un an ; de ce personnage furtif de Russe, marié, au service d’oligarques, elle n’a fait qu’attendre les signes – un message, un coup de fil – pour se rendre disponible et coucher avec lui. Le reste du temps, où Hélène donne cours, écrit des livres, élève son fils, va voir un film avec une amie (Hiroshima mon amour, autre histoire d’amour scandaleuse), est pour elle entièrement tendu vers le moment putatif des retrouvailles, comme si tout n’en était que l’épiphénomène. (Le Monde) : « À partir du mois de septembre l’année dernière, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme : qu’il me téléphone et qu’il vienne chez moi. Tout de lui m’a été précieux, ses yeux, sa bouche, son sexe, ses souvenirs d’enfant, sa voix… »

La loi :

La loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse, dite Loi Veil, encadre une dépénalisation de l’avortement en France. Elle est promulguée pour cinq ans à titre expérimental, reconduite sans limite de temps par une loi 31 décembre 1979.

Janine Bailly, Fort-de-France, le 12 septembre 2021