Sargasses : des échouements records en 2025 dans les Antilles

Des réponses encore en suspens

— Par Sabrina Solar —

Depuis mai 2025, les côtes des Petites Antilles – Guadeloupe, Martinique, Saint-Barthélemy et La Désirade en tête – sont submergées par des vagues de sargasses d’une ampleur exceptionnelle. Les images satellites, les rapports météorologiques et les témoignages locaux convergent : la prolifération de ces algues brunes atteint un seuil critique, perturbant lourdement les activités économiques, la vie des riverains et les écosystèmes littoraux.

Un phénomène ancien devenu chronique

Apparues massivement pour la première fois en 2011, les sargasses sont devenues, au fil des années, un fléau récurrent. Mais l’année 2025 marque un tournant : des échouements d’une densité inédite ont été observés entre avril et juin, bloquant notamment l’accès au port de La Désirade pendant plusieurs jours. Si le phénomène n’est pas nouveau, son intensité et sa fréquence cette année inquiètent les scientifiques autant que les autorités.

Les causes : un cocktail climatique et océanographique

Selon une récente note de Météo France, plusieurs facteurs se combinent pour expliquer cette intensification. En premier lieu, les températures de surface de l’océan Atlantique tropical ont augmenté de 1,3°C par rapport à la moyenne de la décennie précédente. Cette élévation, qui dépasse aujourd’hui les 28,5°C, stimule la croissance des radeaux de sargasses par photosynthèse accélérée.

À cela s’ajoutent des vents d’est plus puissants, qui modifient les trajectoires habituelles des courants marins et élargissent la zone de prolifération vers l’ouest. Enfin, des précipitations intenses sur les grands bassins fluviaux tropicaux, comme l’Amazone ou le Congo, ont favorisé le lessivage de nutriments vers l’Atlantique équatorial, enrichissant le milieu marin et favorisant la multiplication des algues.

La Guadeloupe et la Martinique en alerte

En Guadeloupe, les échouements concernent presque tout le territoire. Le nord-est de la Grande-Terre, Marie-Galante, et les abords de la Désirade sont particulièrement touchés. Des filaments d’algues de tailles variables s’amoncellent régulièrement sur le littoral, alimentés par un flux lent mais constant de radeaux flottants. Les images satellites du 28 au 30 juillet confirment une reprise généralisée des arrivages, notamment entre Marie-Galante, les Saintes et le canal de la Dominique.

La Martinique n’est pas épargnée. Les vents du canal entre Sainte-Lucie et la Barbade alimentent toujours le littoral sud, avec des échouements réguliers prévus dans les jours à venir. Les modèles océaniques n’annoncent aucun répit à court terme : la densité de sargasses entre les Antilles et jusqu’à 400 kilomètres à l’est reste très élevée, et les risques d’échouements restent forts pour au moins les deux prochaines semaines.

Vers une décrue à l’horizon septembre ?

Météo France estime que les échouements devraient commencer à diminuer en septembre, si les conditions météorologiques évoluent favorablement. Mais cette hypothèse dépend encore de nombreuses incertitudes, liées notamment aux perturbations tropicales à venir.

Une gestion encore floue et insuffisante

Au-delà du constat scientifique, la question de la gestion du phénomène reste préoccupante. Dans un rapport publié en juin, la Cour des comptes a souligné les failles persistantes du dispositif. Le cadre juridique est jugé imprécis, les compétences des différents acteurs (collectivités locales, ADEME, services de l’État, groupements d’intérêt public) restent mal définies, et les sargasses ne sont toujours pas officiellement reconnues comme des déchets, ce qui freine leur prise en charge systématique.

Le manque de mutualisation des moyens et d’échange d’informations entre territoires aggrave la situation. Certains centres de stockage sont déjà saturés, et les capacités de ramassage montrent leurs limites face à l’ampleur du phénomène. Sans une stratégie de coordination renforcée et des ressources mieux mobilisées, les territoires antillais risquent de se retrouver une nouvelle fois en état d’urgence écologique.

Les sargasses ne sont plus un aléa passager, mais un symptôme durable du dérèglement climatique et d’une pollution transatlantique incontrôlée. Face à un phénomène désormais structurel, c’est toute la gouvernance environnementale des Antilles qui est appelée à se réinventer.