Quand l’IA pousse les banques hors d’Afrique

Les dessous inavouables de la recolonisation de l’Afrique et les raisons du départ accéléré des banques françaises du continent Africain !

— Par Jean-Marie Nol —

Les banques jouent un rôle crucial dans l’économie d’un pays. Alors se pose la question de savoir pourquoi et comment les banques françaises accélèrent leur départ du continent africain , notamment sous la pression de l’intelligence artificielle ? 

Les grandes banques françaises, longtemps perçues comme des piliers incontournables du financement en Afrique, amorcent depuis quelques années un retrait accéléré du continent. Ce mouvement, loin d’être anecdotique, s’inscrit dans un bouleversement profond du secteur bancaire mondial sous l’effet de l’intelligence artificielle et de la transformation numérique. Alors que les banques jouent traditionnellement un rôle de premier plan dans la collecte de l’épargne, l’octroi de crédits, la création de monnaie et la stabilité financière, leur désengagement en Afrique surprend et suscite de vives interrogations. Pendant des décennies, elles ont permis le financement d’entreprises locales, soutenu des investissements structurants et contribué à la bancarisation progressive des populations. Pourtant, malgré la vitalité démographique et les perspectives de croissance du continent, les grandes institutions françaises choisissent de quitter l’Afrique en cédant leurs filiales ou en réduisant drastiquement leurs opérations.Ce choix résulte d’un faisceau de raisons économiques, réglementaires et surtout technologiques.

L’impact de l’intelligence artificielle dans le secteur financier est indéniable. Les banques du futur doivent s’engager massivement dans l’adoption de technologies émergentes telles que l’intelligence artificielle (IA), la blockchain et des interfaces utilisateur intuitives.En 2025, les banques devront offrir des services plus personnalisés et améliorer l’expérience utilisateur, tout en rationalisant leurs processus internes. Les banques s’appuieront sur l’analyse avancée des données et l’IA pour proposer des services financiers hautement personnalisés, allant des plans d’épargne sur mesure aux conseils d’investissement personnalisés , on estime que l’IA générative pourrait accroître les revenus du secteur bancaire mondial jusqu’à 4,7 % par an, soit 340 milliards de dollars . Mais côté risque, la confiance dans l’IA est partagée. Les banques qui n’adopteront pas ces technologies risqueront de perdre des parts de marché au profit des fintechs et des néo-banques, plus agiles et innovantes. Mais pour bien apprehender la problématique de l’évolution future du secteur bancaire, il convient de citer ici quelques-unes des fonctions clés des banques :

– *Intermédiation financière : Les banques collectent des dépôts auprès des particuliers et des entreprises et utilisent ces fonds pour accorder des crédits à d’autres clients. Cela permet de canaliser l’épargne vers des investissements productifs.

– *Création de monnaie : Les banques commerciales créent de la monnaie scripturale (dépôts bancaires) lorsqu’elles accordent des crédits. Cela augmente la masse monétaire en circulation dans l’économie.

– *Financement de l’économie : Les banques fournissent des crédits aux entreprises pour financer leurs investissements, leur production et leur croissance. Elles offrent également des prêts aux particuliers pour l’achat de biens immobiliers, de véhicules, etc.

Les banques contribuent à la croissance économique en facilitant l’accès au crédit pour les entreprises et les particuliers.

– Elles jouent un rôle clé dans la stabilité financière en gérant les risques et en assurant la liquidité du système financier.

– Les banques sont essentielles pour le fonctionnement des systèmes de paiement et pour la circulation de la monnaie dans l’économie.

En résumé, les banques sont des acteurs centraux dans l’économie d’un pays, facilitant l’intermédiation financière, la création de monnaie et le financement de l’économie. Et pourtant les grandes banques françaises plient bagage en Afrique, laissant place à de nouvelles opportunités pour les acteurs régionaux.

Le retrait des banques françaises est un mouvement irréversible, alors même que le continent africain possède de nombreux atouts de développement pour l’avenir.

Alors pourquoi les banques françaises se désengagent du marché africain ?

Après plusieurs décennies de présence active, les banques françaises se retirent progressivement du continent africain, un mouvement qui suscite inquiétudes, interrogations et débats sur l’avenir du financement en Afrique. Ce désengagement ne se limite pas à une simple réorganisation géographique de leurs activités, il traduit un choix stratégique mûrement réfléchi, nourri par un faisceau de contraintes économiques, réglementaires et structurelles qui rendent leur maintien de moins en moins attractif. Alors que l’Afrique reste souvent décrite comme un continent d’avenir avec une démographie dynamique, des ressources naturelles considérables et un besoin massif d’infrastructures, ces atouts ne suffisent plus à convaincre les grandes banques françaises de continuer à y déployer des capitaux et des équipes.

À cela s’ajoute désormais une dimension prospective capitale : la révolution technologique portée par l’intelligence artificielle bouleverse en profondeur les modèles économiques des banques. L’automatisation des processus, la robotisation de la gestion des risques et la transformation des métiers du crédit réduisent les marges traditionnelles et imposent des investissements massifs dans des infrastructures numériques très coûteuses. Pour les grandes banques françaises, conserver des filiales sur des marchés éloignés, où la rentabilité est déjà fragile, impliquerait de déployer ces technologies de pointe à grande échelle, sous peine de rester en retard et de perdre en compétitivité. Or, l’adaptation de l’intelligence artificielle à des environnements marqués par une forte économie informelle, des données clients incomplètes et des régulations encore mouvantes représente un défi bien plus complexe qu’en Europe ou en Amérique du Nord. Ces difficultés techniques et financières incitent les groupes français à anticiper un futur où seuls les marchés disposant de données fiables, d’infrastructures robustes et de volumes importants permettront d’amortir les coûts liés à la transition numérique. Dans ce contexte, le retrait du continent africain apparaît aussi comme une manière de se préparer à un paysage bancaire transformé, où l’intelligence artificielle sera la clé de la performance et où il faudra concentrer les ressources sur les territoires jugés stratégiques.

Le cœur du problème réside dans une rentabilité jugée insuffisante face à des risques jugés disproportionnés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : pour la Société Générale, les activités africaines ne représentaient que 7 % du produit net bancaire global, soit environ 1,8 milliard d’euros, alors même que le groupe était exposé à des risques opérationnels, réglementaires et politiques considérables. Chez BNP Paribas, cette part tombait même à 1 %. Dans un environnement bancaire mondialisé où la pression des actionnaires et des régulateurs est permanente, de telles performances sont difficilement défendables face à des marchés européens et nord-américains plus matures, plus lisibles et surtout mieux régulés. Les impératifs de rentabilité, accentués par des exigences prudentielles renforcées en Europe, imposent aux banques de concentrer leurs fonds propres sur les zones offrant les meilleurs rendements ajustés du risque.

La réalité des marchés africains complique en effet considérablement la tâche des établissements financiers internationaux. La proportion élevée d’économie informelle rend difficile l’évaluation précise de la solvabilité des emprunteurs et accroît les risques de défaut. Les impayés, fréquents, grèvent les bilans et fragilisent la capacité des filiales à investir durablement. S’ajoutent à cela des problématiques de flux financiers illicites et de blanchiment d’argent qui exposent les banques à des sanctions de plus en plus lourdes de la part des autorités de contrôle européennes et américaines. Ces risques, souvent difficiles à couvrir, pèsent lourdement sur le coût du capital et obligent les établissements à mobiliser davantage de fonds propres, ce qui réduit mécaniquement leur capacité à accorder des crédits.

Ce mouvement de retrait est également alimenté par une évolution stratégique plus large. Les grands groupes bancaires français cherchent désormais à se recentrer sur leurs marchés domestiques et sur les grandes zones économiques stables, où la réglementation est connue, les marges prévisibles et les coûts de conformité mieux maîtrisés. L’Afrique, avec ses contextes politiques parfois instables et ses systèmes judiciaires et réglementaires encore en consolidation, devient alors une zone à risques qui ne justifie plus, selon eux, des investissements massifs. Ainsi, la Société Générale a engagé la vente de ses filiales au Congo, au Tchad, au Mozambique, au Maroc et à Madagascar, et poursuit ses cessions au Bénin, au Burkina Faso, en Guinée Conakry, en Mauritanie ou encore au Togo. Le Cameroun vient s’ajouter à cette longue liste, avec la cession de 58 % du capital de sa filiale à l’État, marquant une nouvelle étape d’un retrait devenu irréversible.

Cette décision ne signifie pas que l’Afrique est condamnée à un déficit bancaire chronique. Elle ouvre paradoxalement la voie à de nouvelles opportunités pour des acteurs régionaux ou panafricains, souvent plus agiles et mieux ancrés localement. Ces acteurs, qu’il s’agisse de banques africaines émergentes, d’institutions de microfinance ou de nouveaux entrants adossés à des fonds souverains, pourraient combler le vide laissé par les géants français. Leur connaissance fine des marchés locaux, leur capacité à innover dans les produits et services adaptés à une clientèle largement non bancarisée, ainsi qu’une approche plus souple face aux réalités informelles de l’économie africaine, constituent des atouts majeurs pour reprendre le flambeau.

En définitive, le désengagement des banques françaises du continent africain est moins une condamnation du potentiel de la région qu’un aveu de l’incapacité des modèles occidentaux traditionnels à s’adapter à un environnement économique et réglementaire très spécifique. Mais il serait réducteur de n’y voir qu’un simple arbitrage de rentabilité : ce retrait s’inscrit aussi dans une lecture anticipée des bouleversements technologiques et des ressources humaines qui s’annoncent.La crainte de voir certains métiers bancaires supprimés par l’automatisation est réelle.Les banques utilisent déjà l’intelligence artificielle dans de nombreux domaines. Environ 200 000 emplois pourraient ainsi être supprimés dans les années à venir.Ces emplois seront remplacés par l’intelligence artificielle d’ici trois à cinq ans. Ce processus a déjà commencé dans le secteur financier.À l’automne dernier encore , un rapport de Citigroup indiquait que plus de la moitié des emplois étaient menacés.

L’intelligence artificielle est en train de redéfinir les métiers bancaires, de l’analyse du risque à la relation client, et exige des investissements colossaux dans les données, les infrastructures numériques et la cybersécurité. Les groupes français préfèrent concentrer ces efforts sur des marchés où l’environnement est stable et les données exploitables, plutôt que de tenter une adaptation coûteuse sur des terrains plus incertains. Pour les repreneurs africains des filiales cédées, l’enjeu sera donc immense : non seulement assurer la continuité des services bancaires, mais surtout engager sans tarder une transformation technologique profonde pour rester compétitifs dans un univers où l’IA dictera les standards. Faute de quoi, ces acteurs pourraient se retrouver confrontés à de graves difficultés, incapables de rivaliser avec les plateformes financières mondiales ni de répondre aux attentes d’une clientèle de plus en plus connectée et exigeante. Ce retrait des banques françaises n’est donc pas seulement la fin d’une époque, il est le signal d’un nouveau défi pour les pays africains : bâtir des institutions africaines capables d’affronter la révolution technologique qui s’annonce et de s’imposer dans un secteur bancaire en mutation rapide, et déjouer le risque d’une future recolonisation de nature numérique. Le départ des banques françaises ne doit pas être interprété comme un abandon définitif du potentiel africain, car nul doute qu’elles reviendront investir le marché financier de l’Afrique, mais comme le signal d’une mutation à marche forcée. L’intelligence artificielle impose une refonte radicale des modèles d’affaires et une concentration des ressources sur les marchés les plus stratégiques. Pour l’Afrique, l’enjeu est immense : construire des institutions capables de relever le défi technologique, éviter de devenir dépendantes de nouvelles plateformes financières étrangères et saisir l’opportunité de définir un modèle bancaire propre, adapté à ses réalités et à ses ambitions. À défaut, le continent risque non seulement de voir se refermer la fenêtre d’opportunité ouverte par des décennies de croissance, mais aussi de subir une nouvelle forme de dépendance, voire de recolonisation cette fois numérique, dans un monde où, pour reprendre les mots d’une citation de Vladimir Poutine en 2017 :  « celui qui deviendra le leader dans le domaine de l’intelligence artificielle sera le maître du monde »…

Jean Marie Nol économiste et ancien directeur de banque