Nouvelle Caledonie :  » Imité ka détenn… »

— Par Jean-Marie Nol —

Il aura fallu dix jours et une nuit entière pour sceller un accord politique historique entre les représentants calédoniens et l’État français, donnant naissance à un texte qui, s’il ne met pas fin aux incertitudes, ouvre résolument une nouvelle ère institutionnelle. Derrière le titre consensuel de « Projet d’accord sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie » se dessine une architecture complexe, mêlant souveraineté partielle, reconnaissance identitaire, révision du partage des compétences et projection économique. Le fondement du texte repose sur la création d’un « État de la Nouvelle-Calédonie », inscrit dans la Constitution française, disposant d’une nationalité propre, d’une Loi fondamentale, et susceptible d’être reconnu par la communauté internationale. Une avancée considérable qui marque une rupture avec le modèle colonialiste implicite de la dépendance, mais qui, à bien des égards, pose aussi les jalons d’un futur incertain, traversé de ressentiments toujours présents, de tensions latentes et de défis économiques colossaux.

Cette évolution calédonienne, si elle réussit à franchir l’étape référendaire de 2026, pourrait constituer un précédent majeur pour l’ensemble des territoires ultramarins. L’instauration d’une double nationalité – française et calédonienne – est une innovation institutionnelle d’ampleur jusque là absente du droit français . Elle reconnaît enfin, au-delà de l’histoire coloniale douloureuse, l’existence d’un peuple avec ses valeurs, sa culture, ses revendications et son droit à l’autodétermination dans un cadre post-colonial repensé. L’accord entérine aussi la réorganisation du corps électoral, assurant progressivement que seuls les Calédoniens au sens de la nouvelle nationalité pourront participer aux décisions majeures, scellant ainsi un principe fondamental : celui de la souveraineté par le peuple.

Mais l’ambition de ce nouveau modèle ne s’arrête pas à l’aspect symbolique. Il veut être aussi un pacte de refondation économique et sociale. Un modèle mixte, orienté vers la diversification, l’autosuffisance, la maîtrise des ressources – notamment minières avec la filière nickel  en crise – et une insertion régionale renforcée. Le texte insiste sur la formation des élites locales, l’adaptation des politiques de défense, de sécurité et de justice aux réalités coutumières, et la refonte d’un contrat social en priorité tourné vers la jeunesse. Cette vision globale, cohérente, et structurée semble vouloir éviter les erreurs du passé de la période de l’autonomie , en réaffirmant que l’autonomie n’a de sens que si elle repose sur des bases économiques solides, sur une légitimité politique incontestable, et sur un projet de société partagé.

Mais ce modèle, aussi enthousiasmant soit-il, n’est pas à notre sens transposable en l’état à d’autres territoires ultramarins. La Guadeloupe, la Martinique ou la Guyane doivent en tirer des leçons, mais avec lucidité. Car la Nouvelle-Calédonie, malgré ses atouts naturels et son histoire propre, ne dispose pas encore du management humain et de l’expertise suffisants pour mettre en œuvre une économie endogène au service exclusif de sa population autochtone. L’enjeu est colossal : faire fonctionner un système économique viable avec les outils d’une souveraineté partielle sans tomber dans les écueils de la dépendance déguisée.

En ce sens, une transposition hâtive ou mimétique serait non seulement contre-productive mais aussi illusoire. En Guadeloupe comme en Martinique, la tentation est grande pour certains idéologues de revendiquer l’autonomie ou l’État associé, souvent présentée comme un sésame vers le développement. Mais à y regarder de plus près, il faut se poser la seule vraie question qui vaille : sur quelle base économique repose ce projet politique ? Là où la Nouvelle-Calédonie peut au moins compter sur ses ressources minières, l’économie guadeloupéenne reste, pour l’heure, une économie sous perfusion, une économie sous serre administrée, où les transferts publics et sociaux remplacent la création de valeur. Il s’agit bien plus d’un comptoir que d’une économie productive digne de ce nom .

C’est pourquoi une stratégie de transition maîtrisée s’impose. L’évolution statutaire ne doit jamais être une fin en soi, mais le fruit d’un lent processus dont les fondements reposent sur une transformation préalable de l’économie. L’autonomie ou l’État associé ne peuvent fonctionner que s’ils s’appuient sur une véritable souveraineté économique. Il est donc impératif de repenser, dans un premier temps, le modèle productif, de bâtir une économie endogène résiliente, d’expérimenter de nouveaux outils normatifs dans le cadre rénové par les constitutionalistes de l’article 73, et surtout de mettre à l’épreuve la capacité locale à exercer les responsabilités. Ce n’est qu’alors, lorsque les institutions auront été testées, que la population y aura trouvé une forme de légitimité et d’adhésion, que pourra se poser la question d’un changement de statut institutionnel.

Paradoxalement, cette prudence n’est pas du conservatisme, mais bien un progressisme stratégique. Car il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. La Guyane, avec son potentiel de développement, semble aujourd’hui mieux armée que les Antilles françaises pour envisager ce tournant de l’autonomie puis de l’État associé . La Polynésie française, de son côté, suit attentivement l’exemple néo-calédonien, en s’inspirant déjà du modèle des îles Cook, État associé à la Nouvelle-Zélande. Ces trajectoires différenciées démontrent que le changement statutaire ne peut être uniforme. Il doit répondre à des réalités géographiques, démographiques, économiques et culturelles spécifiques.

Il serait donc vain de plaquer mécaniquement un modèle calédonien sur l’arc antillais. La Guadeloupe, notamment, possède un atout souvent ignoré : un vivier de cadres compétents et bien formés, qui pourraient être les moteurs d’un changement endogène s’ils choisissaient de s’impliquer dans la construction politique , économique et sociale de leur territoire. Mais encore faut-il éradiquer le mal-développement, l’assistanat systémique et reconstruire une culture de la responsabilité et de la création de richesse par le travail . Sans cela, le passage à un nouveau statut n’aura pour seul effet que de déplacer les problèmes dans un nouvel emballage institutionnel.

L’heure est donc à la lucidité. L’accord de Bougival entre kanaks et Caldoches est une avancée majeure pour la Nouvelle-Calédonie et un signal fort pour les Outre-mer. Mais il ne saurait servir de modèle unique. Il appelle à la différenciation, à l’expérimentation prudente, et surtout à un retour de la question économique au cœur du débat institutionnel. L’autonomie véritable ne se décrète pas : elle se construit, pas à pas, sur des fondations politiques et économiques solides, durables, et partagées par la majorité des peuples Antillais.

 » Imité ka detenn « 

Traduction littérale

Imiter déteint.

Moralité

A force d’imiter, on perd sa personnalité