Quand la « miséricorde » prime sur la prudence
La nomination de l’abbé Dominique Spina au poste de chancelier du diocèse de Toulouse, officialisée début juin 2025, continue de susciter une vive polémique au sein de la communauté catholique et au-delà. Condamné en appel en 2006 pour le viol d’un lycéen de 16 ans, ce prêtre revient aujourd’hui à un poste stratégique de l’administration diocésaine, au nom, selon l’archevêque Guy de Kérimel, de la « miséricorde ».
Une décision justifiée par le fait que l’abbé Spina aurait, selon les mots du prélat, « purgé sa peine » et « n’aurait rien à se reprocher depuis près de trente ans ». En somme, une rédemption discrète, transformée aujourd’hui en promotion. L’affaire n’a toutefois rien de discret : elle interroge les fidèles, choque les victimes d’abus et met à mal les engagements pris par l’Église après la publication du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) en 2021.
Un poste administratif, mais hautement sensible
Le diocèse tente de relativiser : le poste de chancelier serait une simple fonction d’archiviste. En réalité, selon le droit canonique, ce rôle est bien plus qu’une tâche technique : le chancelier est l’un des garants de la validité juridique des actes émis par l’évêque, notamment dans les affaires disciplinaires ou matrimoniales. À ce titre, il doit signer ces documents pour qu’ils soient valides. Le droit canon exige donc que le chancelier soit « de réputation intègre et au-dessus de tout soupçon » (canon 483 §2). Un critère que l’on peine à voir rempli dans le cas de Dominique Spina.
Car il ne s’agit pas ici d’un simple soupçon ou d’une rumeur. Il s’agit d’une condamnation pénale, confirmée en appel, pour viol sur mineur. La peine de cinq ans de prison, dont un an avec sursis, a été purgée, mais le casier judiciaire n’est pas vierge. Or, en matière de réputation, le droit canon parle de « fama », cette renommée publique — bonne ou mauvaise — qui colle à une personne. Et dans le cas présent, la réputation est entachée de manière irréversible par les faits, quels que soient les efforts de réhabilitation ultérieurs.
Le poids des victimes et l’ombre de Bétharram
Le retour de Dominique Spina dans une fonction de responsabilité prend une résonance encore plus lourde dans un contexte marqué par d’autres scandales, notamment à Notre-Dame de Bétharram, où de nombreux prêtres sont accusés d’agressions sexuelles. C’est précisément dans cet établissement que Frédéric*, l’une des victimes reconnues de Spina, a rencontré son agresseur. Témoignant aujourd’hui dans la presse, Frédéric décrit l’enchaînement d’abus, d’abord de la part du directeur de l’école, puis de l’abbé Spina, qu’il qualifie de manipulateur et violent.
Pour Frédéric, le retour de Spina dans l’organigramme diocésain est une humiliation supplémentaire : « C’est un symbole terrible que de le réintégrer. Prêtre, c’est le seul métier où vous réussissez à vous recaser malgré des crimes abominables. » Son témoignage est glaçant et rappelle, une fois encore, les effets durables, souvent dévastateurs, que subissent les victimes — bien au-delà du procès.
Une décision « imprudente » et juridiquement contestable
Pour de nombreux observateurs, théologiens et juristes, cette nomination pose une série de questions. Le père Patrick Goujon, jésuite et lui-même victime d’abus, a exprimé publiquement ses réserves. Selon lui, non seulement la décision n’est pas « prudente » (au sens théologique et canonique du terme), mais elle pourrait même être invalide, en vertu du canon 1029, qui impose à l’évêque de n’ordonner ou promouvoir un clerc que si celui-ci est jugé « apte selon la prudence ».
Guy de Kérimel affirme que Dominique Spina ne présente plus de danger, qu’il n’a plus de contact avec les enfants, et qu’il célèbre la messe « seul ou exceptionnellement pour des fidèles ». Mais cette prudence opérationnelle ne suffit pas à apaiser les consciences, ni à réparer l’image d’une Église qui, malgré des décennies de révélations, peine toujours à tirer les conséquences concrètes de ses scandales passés.
La miséricorde ne peut remplacer la justice
Le discours de l’archevêque, centré sur la miséricorde et le pardon, entre en collision avec les attentes des victimes, qui, elles, peinent à trouver un quelconque écho ou réparation dans l’institution. « La miséricorde ? Pour les victimes, elle n’existe pas. Il n’y a même rien du tout », témoigne Frédéric, amer.
La réintégration de Dominique Spina ne se limite pas à une simple erreur d’appréciation : elle met en lumière les profondes ambiguïtés de l’Église entre compassion pour les coupables et oubli des victimes. Elle interroge aussi la validité morale et juridique d’un système qui permet de telles promotions, même au nom de valeurs chrétiennes.
*Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat de la victime.