La dérive autoritaire de Donald Trump ouvre -t-elle une boîte de Pandore dans le monde ?
— Par Jean-Marie Nol —
La trajectoire politique de Donald Trump semble aujourd’hui marquer un tournant décisif non seulement pour les États-Unis mais pour l’ensemble du monde démocratique. En s’affranchissant des règles diplomatiques traditionnelles, en affaiblissant les contre-pouvoirs institutionnels, et en imposant une lecture autoritaire des fonctions présidentielles, Donald Trump pose les jalons d’un modèle politique qui pourrait bien faire école dans le monde . L’inquiétude grandit : et si les dérives autocratiques du président américain ouvraient une boîte de Pandore, encourageant des gouvernements du monde entier à s’affranchir à leur tour des cadres démocratiques ?
À l’approche de la présidentielle de 2024, Trump avait dressé un tableau binaire du monde, où l’ennemi extérieur – Chine, Russie – passait au second plan face à l’ »ennemi intérieur », qu’il identifiait dans les immigrés clandestins et les militants progressistes. Et que penser de cette volonté de Donald Trump de remettre en service le pénitencier d’Alcatraz de triste réputation et de la construction d’une prison pour les migrants en Floride au milieu d’un environnement hostile peuplé d’alligators et de pythons . Cette rhétorique répressive et guerrière s’est traduite dans les faits pour les migrants : depuis le 6 juin, les grandes opérations menées par l’agence fédérale de l’immigration (ICE) à Los Angeles ont provoqué une vague d’indignation avec des manifestations . La réponse présidentielle a été immédiate : 2 000 membres de la Garde nationale ont été déployés, suivis quelques jours plus tard par 2 000 réservistes supplémentaires et 700 marines, dans une logique de démonstration de force qui ne tient plus compte ni du droit de manifester ni de la volonté des autorités locales. Ce contournement du gouverneur démocrate de Californie, Gavin Newsom, est un symptôme criant d’un pouvoir fédéral désormais prêt à imposer sa ligne par la force. L’opposition démocrate crie à l’abus de pouvoir, dénonçant l’usage massif de la force armée contre des civils dans un cadre domestique.
Mais cette politique autoritaire ne se limite pas aux frontières américaines. Sur la scène internationale, Donald Trump s’est illustré par son appui militaire à Israël contre la Palestine, le Liban et l’Iran, accentuant les tensions dans une région déjà instable. Il remet aussi en question l’OTAN, l’OMS, l’OMC, piétine les principes de coopération internationale et affaiblit la crédibilité des alliances historiques des États-Unis. Là encore, la méthode Trump s’impose : rupture, confrontation, rapport de force, autoritarisme. Tara Varma, chercheuse à la Brookings Institution, résume ce fonctionnement en soulignant que Trump n’agit pas comme un négociateur classique. Il veut toujours sortir « vainqueur », quitte à confondre ses intérêts personnels avec ceux de son pays. Il ne cherche pas de compromis, mais une victoire symbolique sur ses interlocuteurs, fussent-ils des alliés historiques.
Pour le politologue François Heisbourg, cette attitude ne doit pas surprendre. L’hostilité de Trump à l’égard de l’Europe remonte à ses premiers écrits. Il déteste plus les alliés européens que les autocraties adverses, dans une inversion des priorités qui affaiblit la cohésion du monde occidental. Son comportement, aussi outrancier soit-il, est d’une constance frappante. Il n’est pas incohérent : il est dangereux aux dires de l’entourage de Elon Musk qui a osé le défier et en a pris pour son grade, parce qu’il est prévisible et méthodique dans sa volonté de déconstruire la démocratie et l’ordre international libéral établi après 1945.
Cette stratégie de domination s’accompagne d’une entreprise méthodique de déstructuration des institutions américaines. La décision rendue par la Cour suprême le 27 juin dernier, qui affaiblit considérablement le pouvoir des juges fédéraux, en est une illustration saisissante. Selon l’américaniste Anne Deysine, cette décision ouvre la voie à un « chaos » institutionnel, accentuant la polarisation entre États démocrates et républicains. En rendant plus difficile la régulation fédérale, elle facilite l’agenda de l’administration Trump et fragilise la capacité du pouvoir judiciaire à faire contrepoids. La Cour suprême devient, selon elle, non plus un organe d’équilibre, mais un acteur politique à part entière, aligné sur les objectifs partisans de l’exécutif.
Le modèle démocratique américain repose historiquement sur la séparation des pouvoirs, garant de l’État de droit. Or, la présidence Trump, dans son second mandat, semble engagée dans une entreprise de captation progressive de tous les leviers du pouvoir. La marginalisation du Congrès, la politisation de la justice, le recours abusif à l’autorité militaire à l’intérieur des frontières, et la diplomatie de la rupture à l’international notamment en Russie , Ukraine, Gaza, Iran, Cuba , dessinent une présidence aux contours de plus en plus autoritaires.Un régime est autoritaire lorsque le pouvoir est utilisé de façon arbitraire et concentré entre les mains d’un individu ou d’un petit groupe. Ce type de gouvernance s’éloigne de la démocratie libérale où les différents pouvoirs sont séparés et se contre-balancent les uns les autres. Il s’agit d’un «spectre» qui comporte plusieurs degrés avec Donald Trump.
Cette dérive ne concerne pas uniquement les États-Unis. Dans un monde où les régimes autoritaires cherchent à s’imposer comme modèles alternatifs aux démocraties libérales, l’exemple américain pourrait inspirer. Si la première puissance mondiale peut piétiner ses institutions, briser ses alliances et gouverner par la force, pourquoi d’autres dirigeants s’en priveraient-ils ? Le trumpisme pourrait ainsi devenir un référentiel pour ceux qui, de l’Inde à la Hongrie, du Brésil à la Turquie, cherchent à légitimer une gouvernance brutale, nationaliste et antidémocratique.
La boîte de Pandore est peut-être déjà ouverte notamment en Europe avec la montée en puissance des extrêmes . Notamment il est question de la France qui traverse aujourd’hui une période de bouleversements profonds, marquée par une montée vertigineuse de la délinquance, une explosion des arnaques numériques, une insécurité grandissante, et une pression migratoire constante. Ces dynamiques, longtemps sous-estimées ou volontairement ignorées par une écrasante majorité des hommes et femmes politiques et une grande partie de l’élite intellectuelle française, dessinent les contours d’une crise de société majeure. Et pourtant, face à cette mutation rapide, ce qui frappe autant que les chiffres eux-mêmes, c’est le silence, la cécité, voire la déconnexion d’une intelligentsia française incapable d’anticiper, d’interpréter, ou d’alerter sur les conséquences de ce changement de paradigme pourtant prévisible . Ces gens n’ont malheureusement rien vu venir. Cette carence intellectuelle, morale , éthique et politique laisse aujourd’hui le champ libre aux extrémismes de tout ordre et à l’émergence potentielle d’un régime autoritaire, qui pourrait apparaître aux yeux d’un nombre croissant de citoyens comme la seule réponse crédible à un désordre devenu structurel. Le risque, désormais, n’est pas seulement la déstabilisation des États-Unis, mais l’érosion de la démocratie comme modèle universel. Si la plus ancienne démocratie moderne montre qu’elle peut fonctionner sans respect des normes démocratiques, alors le monde entier peut basculer dans l’autoritarisme et la libre répression de toute opposition sans garde fou juridique . Par ailleurs le dessein avoué de Donald Trump de s’approprier le Groenland et le canal de Panama ne fait aucun doute sur sa volonté impérialiste. Nul doute que l’ensemble des militants anti -colonialistes auront bientôt de très bonnes raisons de s’inquiéter fortement. C’est dans ce contexte et à usage de prospective que nous avions précédemment alerté sur la recolonisation dans les prochaines décennies de pays anciennement colonisés ou dominés dans un précédent article de presse intitulé : »La recolonisation de l’Afrique n’est -t-elle pas déjà virtuellement en marche ? »
À cette menace politique s’ajoute une pression économique majeure : la stratégie commerciale de Donald Trump, fondée exclusivement sur des rapports de force, alimente un climat d’instabilité au niveau de l’économie mondiale. En relançant la guerre des droits de douane avec la Chine et d’autres pays , en taxant sans préavis certains produits canadiens , européens ou mexicains, et en défiant les règles multilatérales de l’Organisation mondiale du commerce, Trump affaiblit les fondements d’un commerce international fondé sur la régulation, le compromis et la prévisibilité. L’économie mondiale, déjà fragilisée par les tensions géopolitiques et les crises d’approvisionnement, s’enfonce dans un cycle de repli nationaliste et de fragmentation. Le protectionnisme agressif de Washington ne protège pas durablement les industries américaines, mais provoque des réactions en chaîne, des mesures de rétorsion, et un ralentissement de la croissance globale.
Ce désordre commercial organisé par les États-Unis participe d’un même projet idéologique : imposer un monde dominé par la loi du plus fort, où la coopération est perçue comme un aveu de faiblesse. Dans ce modèle, le multilatéralisme est relégué au rang de naïveté diplomatique, les alliances historiques sont méprisées, et l’économie devient un outil d’intimidation au service d’une puissance solitaire. Ainsi, la dérive autoritaire de Donald Trump ne menace pas seulement la démocratie, mais aussi l’équilibre économique mondial, accélérant le basculement vers un ordre international brutal, répressif , instable et profondément inégalitaire. Antonio Gramsci écrivait : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Cette formule résonne aujourd’hui avec une acuité troublante dans le contexte français. Le vieux monde – celui de la paix sociale garantie, de l’État-providence protecteur et de la confiance envers les institutions – vacille. Mais aucun projet cohérent, ni aucune vision partagée ne semblent émerger pour lui succéder. Dans cet entre-deux, ce vide laissé par des intellectuels dépassés ou volontairement aveugles, s’installent le désordre, la peur, et les discours de rupture. Ce sont ces monstres contemporains – désinformation, extrémisme, désespoir civique – qui prospèrent dans l’ombre de cette cécité. C’est un nouveau cycle de la géopolitique mondiale qui est entrain de s’installer et Donald Trump s’en veut le fer de lance .
Jean Marie Nol économiste et chroniqueur