Voilà le titre choc, provocateur du dernier recueil de poèmes d’Edgard Gousse. Celui-ci est publié aux Éditions Trois Amériques, au troisième trimestre 2025. Paré d’une magnifique et impressionnante couverture au fond rose teinté de blanc, ce livre, d’une centaine de pages, est illustré par l’auteur lui-même. Edgard Gousse a plusieurs cordes dans son arc. Il propose une contribution remarquable et remarquée dans des domaines variés. Romancier, essayiste, critique littéraire, poète, conférencier, artiste peintre et traducteur, ancien professeur des universités, il a déjà publié une cinquantaine d’ouvrages.
Souvent, nous gardons présent dans nos esprits le souvenir de personnes décédées, parce que, avant leur mort, durant leur passage sur cette terre, elles nous étaient chères. Nous continuons ainsi de les nommer, de rappeler leurs œuvres, leurs qualités. Pour nous, quoique invisibles et très éloignées de nous physiquement, elles sont bien vivantes. À l’opposé de cette idée, le poète Edgard Gousse nous prend de court par le titre de son nouveau recueil de poèmes : Les vivants sont tous morts mais ils ne le savent pas. Faut-il le prendre au mot ou se contenter de se délecter de l’effet de surprise cher aux créateurs qui nous enivrent de beauté et de nouveauté au travers d’images peu connues ?
Parmi la diversité des thématiques poétisées dans cet ouvrage, la poésie et la mort sont les plus fréquentes. Appréciez cet extrait de « Poème de minuit pour le dernier voyage ».
des jeunes filles du peuple
rechignent alors à tue-tête
leur pudeur de vierges violées
leurs espérances trompées
contrairement aux convenances
pour apaiser leur avait-on dit
la colère des dieux
on trouve le geste injurieux
et des malfaiteurs sont vite mis
aux trousses de leurs proches
et de leurs semblables
puis un soir de joyeuses libations
un vigilant tueur
gardien de nuit à l’hôpital psychiatrique
fait savoir à qui le voulait
que toutes les folles et tous les fous du pays
étaient partis pour le dernier voyage
sauf un
L’écivain jongle avec les mots tel un pianiste joue avec les notes mélodieuses de son instrument. Dans la lignée des thèmes annoncés plus haut, au début de « Au rendez-vous du poète », il nous glisse au tympan cette musique tout en images :
Des mains moites, le cœur aux tempes
me font subsidiairement la cour
paroles amoureuses jetées
dans la pénombre
mon sang chaud dégouline et prend peur
maquillage et mascara se dissolvent
et mon visage d’acteur réduit
à une peau de chagrin
silence passager
leur voix endolorie
à peine sortie de leur bouche endormie
me demande mon nom
j’hésite mais ma mémoire
orpheline d’un côté et de l’autre
le soupir résigné nostalgique
mais traversé par des corps en transe
n’est plus ce qu’il était
devient racine pulpeuse
jardin prodige
pour oiseaux au souffle coupé
[…]
Et comme il doit évoquer le repos éternel, il clôt la mélodie par cette coda :
[…]
puis vient le tour du poète
celui-ci au milieu de tous
emprunte sans hésiter
le chemin conduisant à l’Éden
le paradis des rêveurs et des promeneurs
pour avoir connu la tourmente ailleurs
sur Terre
L’auteur de « Les vivants sont tous morts mais ils ne le savent pas » est poète de la tête aux pieds et s’habille uniquement de poésie. On dirait sans ambages qu’il s’en alimente jusqu’à la gourmandise. Tout sujet devient prétexte pour la courtiser avec éloquence et élégance. Il nous offre « Dieu est poète ». Ce poème se veut être une adresse au poète. Ce mot est répété une dizaine de fois dans le texe. Et dans ce discours incitatif, l’embrayeur « tu » et ses substituts abondent. Difficile de savoir si Dieu est vraiment poète ou si celui-ci est considéré comme un dieu.
voyelles et consonnes la nuit venue
à la lueur de ce cierge qui fut tien
mais désormais nôtre
à chaque heure chaque minute
chaque seconde
comme maîtresse au bout du chemin
prendront la relève et inscriront ton nom
au frontispice des jours sans lune
pour avoir voyagé sur Terre et semé l’amour
pour avoir su t’élever
au-dessus de la haine gratuite
et combattu l’injustice avant de retourner
dans ta demeure virginale
creusée dans le roc
le visage sillonné d’indélébiles cicatrices
par larmes échappées
du coin de ses paupières
mais lampe incandescente
L’idée du voyage dans l’infini marque une présence constante dans tous les textes du recueil. Voici comment se termine « Dieu est poète ».
temps de démesure indiscrète
cohortes d’anges à ta suite
le vent remplit les espaces vacants
libérés de la censure
car ronge depuis toujours
le bleu de tes nuits
les fleurs s’ouvrent alors
sur ton passage
faisant haleter les vents
à tout instant
et tu te fais pour toujours
souffle libérateur
l’oiseau te regarde dans les yeux
et chante ton nom
sans que tu ne le saches
une vision tienne tricote des scènes
et elles viennent toutes s’installer
dans tes pensées
sans que tu ne le saches
Dieu est poète te dis-je
Une attente anxieuse
Une promenade
Puis cohortes d’anges à ta suite
Les mêmes de toujours
te prennent par la main
grâce et caresses en découlent
Dieu est poète c’est sûr
Les artistes sont dotés du don et de la capacité de créer des œuvres dignes d’admiration. Cependant, on peut se demander s’ils sont toujours conscients de leur portée. De toute évidence, les destinataires des diverses créations sont souvent noyés dans la confusion lorsqu’il s’agit de leur interprétation. Même lorsque les créateurs en ont une, chacun de nous leur donne une signification particulière. Ainsi, si l’on considère le titre du recueil de poèmes en question dans son sens littéral, les Palestiniens et les Haïtiens encore en vie ne devraient-ils pas s’inquiéter plus que d’habitude ? Ne sont-ils pas des morts ambulants tout en l’ignorant ?
L’auteur de « Les vivants sont tous morts mais ils ne le savent pas » a mis en poésie d’autres thèmes singulièrement formulés. Pour découvrir leur essence, il faut prendre le temps de les lire attentivement, comme les titres suivants : Ainsi soient-elles, Bamboula et puis s’en va, Nos pas dans tes pas, Trajectoire elliptique. Pour Edgard Gousse, il n’existe pas un endroit spécifique pour composer des poèmes : sur un lit d’hôpital, dans un avion, partout. Il voyage beaucoup en Afrique. Il en télécharge quelques-uns dans sa mémoire avant de les sauvegarder sur son ordinateur. À l’occasion d’un voyage de Libreville (Gabon) vers Paris, le 3 juin 2024, il a composé « Afrique-Mère, Alma Mater. Hymne à l’Afrique, dénonciation de l’injustice dont le continent tout entier est victime, compassion à la douleur du peuple noir, voilà quelques notes à découvrir dans ce texte.
Afrique-Terre, Afrique-Mère ou Alma Mater
mère de mots croisés de rebuts
et de maux à débusquer
non encore soulagée
de la douleur de vivre
comment finalement apaiser
ta souffrance piaculaire
quoi te dire ou quoi faire
au bout du compte dénoncer
tant d’injustices subies
insupportable ennui de te voir
stoïquement endurer
sans te plaindre un seul instant
les douleurs péniennes
et lancinantes des siècles
violée enceintée
puis reléguée aux oubliettes
Les vivants sont tous morts mais ils ne le savent pas, un recueil de poèmes les uns plus percutants que les autres, à découvrir, à lire et à relire. Publié en 2025 aux Éditions Trois Amériques à Montréal (Québec), Canada, il est aussi disponible en Haïti à Communications Plus 24, Delmas 60, Musseau.
(*) Fortenel Thélusma, linguiste et didacticien du FLE