« Âmes en Mutation » : Le vivant à l’épreuve de la lumière

— Par Marie Gauthier —

Objets inanimés, avez-vous donc une âme
qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?

Alphonse de Lamartine

La persistance du magico-religieux dans les mornes de Martinique imprègne l’enfance et l’adolescence de Jérémie Priam. Dans sa pratique artistique, il interroge le vivant dans ses complexités et ses métamorphoses, la métaphysique, les liens entre l’esprit et la matière.

Ses œuvres sont des images monochromes bleues obtenues par contact d’éléments organiques, d’images ou d’objets, sur un papier enduit d’un mélange chimique spécifique qui le rend sensible à la lumière. Ce procédé photographique ancien, appelé cyanotypie, ne requiert pas d’appareil photo. L’image n’est pas non plus dessinée manuellement, elle apparaît par solarisation, en interposant l’objet entre la lumière et le support qui sera ainsi sensibilisé. Par ce procédé technico-scientifique, Jérémie Priam montre l’image auratique* d’organismes animés, d’ordinaire invisible.

L’artiste associe cette technique ancienne à l’infographie qui lui offre les internégatifs à partir desquels il fabrique ses cyanotypes. Jérémie Priam choisit dans son environnement des formes organiques (animales, végétales) et des composants électroniques. Il les organise comme dans un collage, et selon des combinatoires variées, par juxtaposition, superposition, souvent selon un axe central vertical qui assure l’équilibre des compositions. Cependant, les œuvres semblent des apparitions fragiles, surgies d’un monde à la fois réel et imaginaire.

La construction en empilement des images, toute baignée d’un bleu cosmique, évoque le sens ascensionnel de la transformation dans le processus alchimique : mutation du minéral en végétal, de l’animal à l’humain, alliance de fonctions différenciées. C’est aussi la structure des vévés haïtiens dans le vaudou. Graphismes incantatoires, ces dessins désignent les forces invisibles d’un monde surnaturel, qui permettent aux esprits d’entrer en relation avec le monde des humains.

Il en résulte des œuvres composées selon un principe d’hybridation mêlant l’organique à l’objet fabriqué, ici des circuits électroniques qui représentent les nouvelles interconnexions de notre époque contemporaine. Selon ses mots, Jérémie Priam tente de réconcilier le vivant avec l’inanimé, en reconnaissant l’âme cachée derrière chaque chose. Il imagine une réorganisation du monde où le vivant s’hybriderait sans danger avec les nouvelles technologies, se nourrissant l’un l’autre. Donnant une âme aux objets inanimés, il crée ainsi un nouvel animisme par l’union d’éléments opposés.

Les sculptures, quant à elles, font aussi cohabiter des éléments de la nature et des objets fabriqués de notre culture technologique contemporaine. L’hybridation opère par assemblage sur le même support d’objets naturels et manufacturés. Elles représentent des masques et des sceptres, objets rituels et incantatoires liés à des pratiques magico-religieuses ou à des performances artistiques.

À l’heure des intelligences artificielles, il est bon de se questionner sur la nature du vivant. C’est ce que fait le plasticien Jérémie Priam qui, par le biais des cyanotypes, scrute et révèle cette particularité que sont les champs énergétiques des organismes, notamment dans ses œuvres ici présentées à partir d’images de végétaux et d’animaux. Certains rangeraient dédaigneusement ces phénomènes du côté de l’animisme. En dévoilant à nos yeux l’invisible, l’artiste nous permet de regarder plus consciemment la nature, nous offre l’occasion et la nécessité de changer nos regards et surtout nos attitudes face à cette dimension sacrée du vivant.

Interrogeant le vivant dans ses mémoires et ses métamorphoses, ainsi que la vanité* dans l’art, Jérémie Priam établit des liens entre matière et conscience et réalise, dans sa pratique artistique, une poétique de la transformation, jusqu’à la transformation perpétuelle, au-delà du visible.

Marie GAUTHIER, 10 juin 2025. ADAGP

*auratique : atmosphère qui entoure ou semble entourer un être.

*vanité : en art, catégorie d’œuvres représentant différents éléments symboliques dont l’association évoque le caractère éphémère de la vie et la fragilité des choses matérielles.

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