« bleu », quand l’art se fait cri et mémoire

— Par Marie Ozier-Lafontaine —

Dans la salle d’attente d’un cabinet de gynécologie, en Martinique, les patientes se surprennent à s’arrêter. À lire. À ressentir. L’artiste et poétesse Nadia Burner y présente BLEU, une exposition intense, organique, qui plonge dans les blessures du féminin et dans la mémoire collective caribéenne.

Le bleu des hématomes, le bleu des mers, celui des silences et des cris étouffés. Tout au long de ce parcours intimiste, Nadia Burner donne corps à ce qu’on ne dit pas, ou plus : la douleur des mères, l’oppression des femmes, les combats trop souvent tus. “J’ai voulu qu’ici, dans cet espace si symbolique, les femmes puissent se reconnaître, se rappeler que le combat n’est jamais fini”, confie-t-elle.

Deux séries se répondent, chacune composée de linogravures et de vers créés pour l’occasion. La première, autour des marches blanches, rend hommage aux mères d’enfants disparus. Une armée de conques de lambi, en linogravure, rythme les murs — motif de deuil et de transmission. Chaque gravure est accompagnée de poèmes ciselés, autant de voix têtues contre l’effacement.

Suspendue au centre, une conque véritable, brutale, crie dans le vide, comme ces marches silencieuses qui résonnent face à l’indicible. Ici, c’est la répétition sans fin de la douleur qui s’imprime, lancinante, dans chaque estampe, dans chaque mot.

En écho, une seconde série, inspirée des femmes afghanes et des régressions mondiales des droits des femmes, évoque le contrôle du corps féminin. La châtaigne coupée, figure matricielle, devient symbole de cette mainmise.

Le choix du bleu n’est pas anodin : bleu des âmes, bleu du ressac, bleu des blessures invisibles. “Je voulais qu’il y ait aussi ce mouvement du ressac, cette douleur qui revient sans cesse,” explique Nadia.

Le parcours de l’artiste est à l’image de son œuvre : un long chemin d’émancipation. Longtemps restée en retrait, traversée par le doute, elle assume aujourd’hui pleinement sa place. Son art, hybride et viscéral, marie poésie et matière. Linogravures, installations, mots gravés dans la fibre même de ses œuvres — tout dialogue ici, entre visible et invisible.

Je me suis livrée, pour la première fois peut-être. Ce que je ressens aujourd’hui, c’est une forme d’urgence. On pense que les droits des femmes sont acquis. Mais ce que je vois autour de moi me terrifie. Nous devons rester vigilantes. Et nous souvenir,” dit-elle.

Dans cette salle d’attente, au fil des jours, des femmes s’arrêtent, lisent, réfléchissent. Certaines pleurent. D’autres esquissent un sourire. L’art, ici, fait son travail. Il réveille, il relie, il transmet.

Visible depuis le 12 avril, l’exposition prendra fin le samedi 21 juin, avec un mini récital du contre-ténor Alix Pétris, à 16h. Une ode lyrique pour clôre ce chapitre poétique.

Marie OZIER LAFONTAINE

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