Mardi 17 juin – 14h | Jeudi 19 juin – 19h | Dimanche 22 juin – 11h | Madiana | ★★★★★ |
— Par Sabrina Solar —
Avec A Normal Family, le réalisateur sud-coréen Hur Jin-ho livre une analyse acérée et complexe des fractures qui traversent à la fois les structures familiales et la société coréenne contemporaine. Dans ce thriller psychologique, où la question morale se confronte sans cesse à la réalité sociale, le film met en lumière l’impact de la richesse, du pouvoir et des rôles sociaux sur l’équilibre fragile des relations humaines.
À l’origine de cette introspection, une première scène tragique et choquante : un conducteur de voiture écrase volontairement un homme, menaçant d’endommager son pare-brise, et provoque la mort de la fille de ce dernier. L’introduction de cet acte, plus que simplement violent, est un catalyseur d’une réflexion éthique qui déchire les personnages et le spectateur. D’un côté, l’avocat de la famille du conducteur défend son client avec des arguments d’un cynisme implacable, profitant de l’argent familial pour manipuler la justice et acheter le silence des proches de la victime. De l’autre, le médecin, représentant une forme de bonté sociale, se voit confronté à des dilemmes moraux lorsqu’un acte criminel impliquant ses propres enfants éclate.
Au cœur de ce tourbillon familial, l’argent apparaît comme un pouvoir dévastateur, capable de non seulement influer sur la justice mais aussi de détruire des vies. L’univers des deux familles, une bourgeoise et l’autre plus modeste, incarne parfaitement la division sociale et les inégalités qui rongent la société. Le pouvoir financier du père du chauffeur permet d’acheter le silence et de neutraliser la douleur d’une victime, tandis que de l’autre côté, c’est l’épuisement et le sacrifice quotidien des parents d’un enfant maltraité par la société et l’école qui se jouent.
Une satire sociale d’une société déchirée
Le film va au-delà du simple drame familial pour explorer les dysfonctionnements d’une société où les jeunes générations, déconnectées des valeurs traditionnelles, sont prêtes à tout pour s’ériger dans un monde où l’image et le statut prévalent sur la morale. Hur Jin-ho, avec une mise en scène subtile et un rythme qui s’intensifie, nous plonge dans une critique acerbe de cette Corée du Sud où les figures parentales – censées être les modèles – sont elles-mêmes désemparées et perdues. Le réalisateur n’hésite pas à interroger l’éducation des enfants et l’impact de la pression sociale, en particulier la tyrannie de la réussite scolaire.
Ce conflit entre les deux frères, l’un avocat sans scrupules, l’autre médecin humaniste, symbolise cette lutte entre deux visions du monde qui ne trouvent plus aucun terrain d’entente. Leurs actions, ainsi que celles de leurs enfants, sont scrutées à travers le prisme de la corruption morale et de l’aspiration à la perfection sociale, deux moteurs d’une violence implicite mais omniprésente.
L’élément perturbateur, cependant, survient lorsque les enfants des deux familles se retrouvent au centre d’un crime horrible. Un acte de violence gratuit, filmé par des caméras de surveillance et diffusé sur les réseaux sociaux, qui met en lumière la déconnexion totale de ces adolescents avec les codes sociaux et éthiques. À travers ce prisme, A Normal Family interroge notre conception de la culpabilité et du pardon, de la violence et de la rédemption. Les actions des jeunes protagonistes, loin d’être innocentes, révèlent une profonde dérive morale, où l’argent, la réputation et la soif de contrôle deviennent les seules vérités qui comptent.
La perte des repères et la dilution de la morale
Hur Jin-ho pose également la question philosophique fondamentale : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour protéger nos enfants ? Cette interrogation traverse le film, tout comme les conflits internes qui dévastent les familles. L’issue, que ce soit à travers la justice ou la violence, remet en cause la légitimité des institutions et des valeurs établies, dans un monde où tout est devenu transactionnel, où les relations humaines sont fondées sur l’échange, la manipulation et la domination.
Le film, tout en offrant une réflexion acerbe sur la société coréenne, évoque des thématiques universelles. L’effritement des normes familiales et sociales, la corruption de la jeunesse par les médias et la pression sociale, sont autant de problématiques qui résonnent au-delà des frontières culturelles. En transposant l’adaptation d’un roman déjà largement critiqué dans sa version néerlandaise, Hur Jin-ho revisite un thème intemporel : celui de la lutte intérieure entre l’éthique et la nécessité de survie dans une société dominée par l’argent.
Une satire familiale qui interroge l’humain dans sa complexité
Au-delà de son aspect thriller, A Normal Family se fait le miroir d’une époque où les valeurs humaines sont fragiles et où les questions de responsabilité, de rédemption et de justice sont redéfinies par les plus puissants. Avec une maîtrise parfaite de son scénario et de ses personnages, Hur Jin-ho nous plonge dans un tourbillon moral où chaque décision fait basculer les individus dans l’abîme. Le film, au rythme haletant et aux retournements de situations poignants, est une satire sociale grinçante, mais aussi une réflexion sur la désintégration de l’idée même de famille, là où la morale se dissout dans les méandres de l’argent et du pouvoir.
Ainsi, A Normal Family est un film sur l’impossibilité de maintenir des repères dans un monde où tout peut être acheté, où le sens de l’humanité et de la justice s’érode au contact d’une réalité implacable. Un film qui, par sa construction habile et sa mise en scène raffinée, pousse le spectateur à s’interroger sur les limites de la bienveillance et de la culpabilité dans un monde où l’amour et la violence s’entrelacent de manière inextricable.
Par Jin-Ho Hur, Park Eun-kyo avec Sul Kyung-gu, Jang Dong-gun, Hee-ae Kim
Titre original Bo-tong-ui ga-jog