Mohamed Lakhdar-Hamina, (1934- 2025)

Mohamed Lakhdar-Hamina, cinéaste algérien de renom, s’est éteint à l’âge de 91 ans, le 23 mai 2025, à Alger, jour même où le Festival de Cannes célébrant les 50 ans de sa Palme d’or pour Chronique des années de braise, projeté dans sa version restaurée. Ce film, fresque monumentale sur la guerre d’Algérie, reste à ce jour l’unique œuvre africaine à avoir remporté la prestigieuse distinction. Lakhdar-Hamina, un homme du combat et de la création, laisse derrière lui une œuvre marquante, fidèle à son engagement pour la dignité de son peuple et la mémoire de son pays.

Né le 26 février 1934 à M’Sila, dans les montagnes de l’Aurès, il grandit dans une famille modeste, marquée par la dureté des conditions de vie et l’oppression coloniale. La guerre d’Algérie fut un tournant dans sa vie. Son père fut enlevé, torturé et assassiné par l’armée française, un drame qui forgea en lui une volonté de résistance. Mohamed Lakhdar-Hamina, en désertant l’armée française en 1958, rejoint la lutte pour l’indépendance aux côtés du FLN, tout en poursuivant sa passion naissante pour le cinéma. C’est à cette époque qu’il affirme sa vocation d’auteur, bien que sans aucune expérience préalable dans le domaine.

Après des études de cinéma à Prague, il revient en Algérie, où il joue un rôle clé dans la structuration du cinéma national naissant, devenant notamment directeur de l’Office national pour le commerce et l’industrie cinématographique. Sa carrière se bâtit ainsi sur un double engagement : celui de cinéaste, mais aussi celui d’organisateur et de défenseur d’une culture cinématographique algérienne indépendante.

Le premier grand succès de Lakhdar-Hamina survient en 1967, avec Le Vent des Aurès, qui remporte le Prix de la Première œuvre au Festival de Cannes. Ce film, racontant la recherche désespérée d’une mère à la recherche de son fils disparu pendant la guerre, se distingue par sa capacité à allier un message humaniste et une forte dimension historique. Mais c’est en 1975 que le cinéaste atteint son apogée avec Chronique des années de braise, un film colossal, épique, qui évoque, sur près de trois heures, la guerre d’Algérie à travers le prisme des événements de 1939 à 1954. Ce film, qui n’épargne ni la déshumanisation du colonialisme ni les divisions internes au sein de la société algérienne, est salué pour sa profondeur et sa beauté visuelle. Il reçoit la Palme d’or à Cannes, un prix rarissime pour un cinéaste africain à l’époque. La critique souligne la puissance de la mise en scène et la justesse du regard porté sur l’histoire, loin des clichés et du manichéisme. Cependant, cette distinction suscite également des controverses : le budget colossal de la production, la proximité de Lakhdar-Hamina avec le pouvoir algérien et le caractère épique de l’œuvre, qui semble s’éloigner des préoccupations sociales immédiates, attisent des critiques à l’intérieur même du pays. Mais malgré les polémiques, Chronique des années de braise reste une œuvre fondatrice dans le cinéma algérien, un cri de résistance contre l’injustice, un plaidoyer pour la mémoire et une réflexion sur la révolte.

Outre ses films, Lakhdar-Hamina est aussi un homme de caractère, connu pour ses emportements et sa franchise. Il n’a jamais hésité à dénoncer le « vide culturel » de son pays et la dérive de certains élites algériennes qu’il voyait « défoncées à la bière ». Il n’a jamais mâché ses mots, même face au pouvoir. Il a souvent exprimé son désaveu envers une société algérienne qu’il jugeait trop marquée par les excès, entre l’alcool et la mosquée, et a critiqué la place accordée à l’islamisme dans les affaires politiques et sociales du pays. Ses propos, parfois acerbes, ne cachaient pas son souci d’éveiller les consciences et de revendiquer une Algérie plus libre, plus juste, plus fidèle à ses principes d’émancipation.

À travers ses sept longs-métrages, il a exploré la souffrance, la révolte, mais aussi les contradictions internes de son pays. Dans Vent de sable (1982), il traite du sort des femmes dans une société patriarcale étouffante, inspiré par la vie de sa propre mère, qu’il n’a connue qu’enceinte et confinée dans une vie de sacrifice. La Dernière Image (1986) résonne avec une dimension profondément autobiographique, évoquant l’histoire d’une institutrice française en Algérie, symbolisant un espace de liberté perdu. Décembre (1972) et Crépuscule des ombres (2014) mettent en lumière les horreurs de la guerre d’Algérie, à travers des récits poignants et des personnages pris dans les tourments de l’histoire.

Mohamed Lakhdar-Hamina a également été un acteur du cinéma international, soutenant des projets comme Z de Costa-Gavras, et nouant des liens d’amitié avec des figures du cinéma mondial comme Jacques Perrin. Son engagement pour un cinéma authentique, loin des discours idéologiques et de la démagogie, a profondément influencé plusieurs générations de cinéastes, en Algérie mais aussi à l’échelle internationale. À travers ses films, il a voulu porter la voix des opprimés, des oubliés de l’histoire, et a cherché à restituer la dignité du peuple algérien dans une période de l’histoire où cette dernière semblait systématiquement effacée ou réduite à la violence.

Sa disparition, le 23 mai 2025, marque la fin d’un cycle dans l’histoire du cinéma algérien, mais son œuvre continue de rayonner. Le film Chronique des années de braise a été projeté cette année à Cannes à l’occasion de ses 50 ans, dans une version restaurée, preuve que l’héritage de Lakhdar-Hamina est loin de s’effacer. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune lui a rendu hommage, saluant son rôle central dans la représentation de l’Algérie libre et révolutionnaire à l’échelle internationale. À travers ses films et son engagement, Lakhdar-Hamina a contribué à façonner une vision du monde où l’artiste, par son art, peut être un agent de transformation sociale, un témoin des souffrances passées et une inspiration pour les générations futures.

Mohamed Lakhdar-Hamina laisse derrière lui un cinéma de résistance et de vérité, un cinéma qui, loin des convenances esthétiques, s’est fait l’écho des luttes et des révoltes de son époque. Son œuvre, nourrie de ses expériences personnelles et des événements qui ont marqué son pays, restera une référence essentielle pour comprendre l’histoire de l’Algérie, mais aussi de l’humanité dans sa quête inlassable de liberté et de justice.