Le 25 mai 2020, les derniers mots de George Floyd – « I can’t breathe » – ont traversé les écrans du monde entier, gravant dans la mémoire collective l’image d’un homme noir mourant sous le genou d’un policier blanc à Minneapolis. Ce moment a déclenché une mobilisation d’une ampleur historique : des millions d’Américains, toutes origines confondues, sont descendus dans les rues, donnant un nouveau souffle au mouvement Black Lives Matter.
Cinq ans plus tard, les hommages se succèdent, mais les promesses de transformation semblent s’être évanouies. À l’endroit même où George Floyd a perdu la vie, désormais renommé George Floyd Square, ses proches et une poignée de citoyens se sont rassemblés pour une cérémonie sobre, déposant des roses jaunes et observant une minute de silence. Une fresque proclame : « Tu as changé le monde, George. » Pourtant, nombreux sont ceux qui s’interrogent : ce changement a-t-il réellement eu lieu ?
Une réforme au point mort
La réforme ambitieuse promise en 2020 sous l’impulsion du président Joe Biden – le « George Floyd Justice in Policing Act » – n’a jamais vu le jour. Malgré son adoption à la Chambre des représentants, le projet a été bloqué au Sénat. Faute de consensus, seule une série de décrets présidentiels à portée limitée a été promulguée.
Le résultat est sans appel : loin de reculer, les violences policières continuent de progresser. En 2024, pas moins de 1 226 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre aux États-Unis, selon le Washington Post et le projet Mapping Police Violence. C’est une hausse de 18 % par rapport à l’année précédant la mort de Floyd. Les personnes noires restent, comme toujours, surreprésentées parmi les victimes.
Un climat politique hostile
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche a marqué un tournant brutal. L’ancien président a démantelé une à une les initiatives en faveur de la diversité, de l’inclusion et des droits civiques. Il a fait retirer les lettres géantes « Black Lives Matter » devant la Maison-Blanche, suspendu les enquêtes fédérales sur les violences policières, et abandonné les poursuites contre les polices de Minneapolis et de Louisville.
Ses partisans les plus extrémistes vont même jusqu’à réclamer la grâce de Derek Chauvin, reconnu coupable de meurtre et condamné à plus de 21 ans de prison.
Un mouvement en recul
Black Lives Matter, dont le slogan était devenu universel après 2020, voit aujourd’hui sa popularité décliner. La ferveur militante a laissé place à la désillusion. Le Pew Research Center indique que 72 % des Américains estiment que l’attention accrue portée aux inégalités raciales n’a pas amélioré concrètement la vie des Noirs. Les donations à la fondation BLM ont chuté de près de 80 % en deux ans, alimentant un débat sur sa gouvernance et son efficacité.
Des réformes locales… à deux vitesses
Malgré l’immobilisme fédéral, certains États ont agi. En Californie, Utah ou Oregon, de nombreuses lois ont été adoptées pour encadrer l’usage de la force, interdire les prises d’étranglement ou imposer le port de caméras-piétons. Mais dans les États les plus conservateurs, la tendance est inverse : la réaction politique à la réforme semble avoir renforcé les pouvoirs de la police.
Pour le sociologue James Nolan, ancien policier et membre du FBI, rien ne changera sans une refonte complète de la doctrine policière américaine. « Tant que la police verra son rôle comme répressif et non partenarial, la violence continuera. » Il appelle à une approche collaborative avec les citoyens, seule voie possible vers une sécurité partagée.
Un héritage à défendre
Face à ce tableau contrasté, la famille de George Floyd appelle à ne pas baisser les bras. « Nous devons continuer à lutter, malgré la fatigue, malgré les obstacles », insiste sa tante Angela Harrelson. Pour elle, honorer la mémoire de George Floyd est un acte de résistance en soi, une manière de refuser que son sacrifice soit oublié ou récupéré.
À Minneapolis, comme ailleurs, des voix persistent. Elles rappellent que l’histoire américaine du progrès social a toujours été cyclique : chaque avancée a connu son contrecoup. Mais comme l’analyse l’historien Steven Hahn, « il n’y aurait pas de démocratie solide aux États-Unis sans les luttes des Noirs américains ». Et cette lutte, pour beaucoup, reste plus que jamais d’actualité.