Il faut en finir avec la mystification de la prétendue lutte contre la vie chère initiée et entretenue par des individus venus de nulle part au parcours pas très net ; cheval de Troie d’un petit groupe improbable de parlementaires de la République dont les liens de certains avec un pays en guerre ouverte avec la France sont avérés – une cyberguerre sans merci avec des opérations de désinformation, de manipulation, de provocation et de sabotages du pays dont ces élus sont des représentants.
Notons que tous ce petit monde interlope qui n’en finit pas de s’agiter dans les travées du parlement français et sur les réseaux sociaux où certains profèrent des menaces à peine voilées de nouveaux embrasements si l’on ne se soumettait pas à leur volonté ; tout ce petit monde profite à satiété de la société de surconsommation. Il n’est pas si loin pourtant, un peu plus de 60 ans, où le modèle de la frugalité, des dons et contre dons et de la réduction des dépenses alimentaires était encore une valeur dominante, notamment dans les classes défavorisées, dans nos campagnes et les quartiers populaires urbains.
Il faut en finir avec cette mystification pour s’engager dans une approche plus globale et non racoleuse. Le spectacle de petits groupes de personnes retraités, au chômage, ou même salariés pour certains, faisant des poubelles de super marché dans l’hexagone pour se nourrir nous y invite : ce qui est fondamentalement en jeu dans ce consternant tableau dans un pays dit avancé ce n’est pas la cherté de la vie mais le « pouvoir d’achat » ; s’y ajoute dans les Outre-mer, la question de la production locale et d’un projet réel de développement et de société. L’administration préfectorale a mis le doigt avec raison sur cette contradiction de contestataires permanents sans véritable projet global pour leur pays.
Ils doivent fouiller les poubelles pour manger
Ils font les poubelles pour se nourrir
« Le pouvoir d’achat correspond à la quantité de biens et de services qu’un revenu permet d’acheter. Le pouvoir d’achat dépend alors du niveau du revenu et du niveau des prix. L’évolution du pouvoir d’achat correspond donc à la différence entre l’évolution des revenus des ménages et l’évolution des prix. Si la hausse des revenus est supérieure à celle des prix, le pouvoir d’achat augmente. Dans le cas contraire, il diminue. » ) (Economie-Gouv)
Le niveau des prix est un des éléments de la définition du pouvoir d’achat comme l’indique la citation précédente. Il était donc normal d’agir à ce niveau. Ce qui l’est moins c’est de polariser le débat sur ce seul aspect et s’enfermer sous la pression d’une petite minorité dans un « débat alibi » dont la finalité est plus que trouble. On escamote ainsi l’autre terme du problème : le « niveau du revenu » et par conséquent la responsabilité patronale, l’impact de certaines politiques publiques et le rôle d’institutions publiques majeures (Sécurité sociale, CAF, France Travail, ex Pôle Emploi, CTM) sur la détermination de cet élément constitutif du pouvoir d’achat. Il faut ici insister, concernant les institutions publiques citées, sur le fait que les retards de paiement, les traitements trop sommaires ou trop lents des dossiers, les réclamations indues de trop perçu jettent dans le stress et la détresse sociale les plus fragiles dont les petites entreprises.
Il faut maintenant en venir à une question cruciale, celle de notre mode de consommation ; question bien évidemment escamotée dans le débat alibi de la vie chère puisque d’inspiration fondamentalement consumériste. Aucune interrogation donc à ce niveau. Peu d’étudescritiques d’ailleurs y ont été consacrées à notre connaissance*, preuve de notre submersion totale dans le modèle américain de consommation de masse ainsi définit par Emily S. Rosenberg (« Le « modèle américain » de la consommation de masse », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 108 | 2009, 111-142) :
« Ce système de masse, combinant consumérisme et publicité, se développa dans le monde entier et, comme aux États-Unis, s’adapta facilement. Il séduisit au-delà des différences nationales, régionales, ethniques, mais aussi de genre, de classe et d’idéologie. »
Le « modèle américain » de la consommation de masse
Reste à savoir si ce modèle est compatible avec un petit territoire insulaire en crise sociale et économique endémique et qui se trouve dans une impasse de gestion de ses propres déchets depuis des années avec toutes les conséquences écologiques induites. La réflexion sur les modèles de consommation se devrait de commencer par restituer aux consommateurs leur statut d’acteur. C’est ce à quoi s’emploie Gaëlle Pothin dans une excellente thèse de doctorat soutenue en 2017 à l’Université de la Réunion (« La cherté de la vie du point de vue du consommateur : définition, antécédents et conséquences).
Un des premiers constats de l’auteure est celui de la « dissonance » entre les statistiques officielles et la perception des consommateurs, une perception qui n’est pas sans rapport avec un « vouloir d’achat ». Je cite :
« Alors que les statistiques officielles font état d’une augmentation, certes faible, du pouvoir d’achat des français, ces derniers ne cessent d’affirmer l’inverse. Une dissonance susceptible d’être expliquée notamment par l’écart grandissant entre le rythme de croissance du pouvoir d’achat, en stagnation, et celle du « vouloir d’achat », en constante croissance (Dupré and Geradon de Vera, 2008). » (p.385)
Si le consommateur est bien un acteur cela signifie, par ailleurs, qu’il développe ses propres stratégies en fonction des situations. L’auteure n’insiste peut-être pas suffisamment sur la consommation alternative. Je la cite :
« Ainsi, l’examen de ces résultats permet d’en déduire que l’évaluation de la cherté de la vie n’incite pas les individus à sortir du marché. Ils sont à la recherche de nouvelles façons de consommer afin de maintenir un certain niveau de vie et de bien-être malgré une contrainte budgétaire de plus en plus forte. Pour ce faire, les consommateurs peuvent opter pour des comportements de consommation leur permettant soit de maintenir une relation avec le marché malgré la cherté de la vie (smart shopping), soit de reprendre le contrôle de leur consommation (attitude d’autoconsommation) ou soit de se détourner partiellement du marché (Attitude réfléchie dans les achats). » (p.390)
S’agissant de consommation alternative, puisqu’on l’a évoquée plus haut, la « consommation collaborative » en est l’exemple le plus commenté. Elle est ainsi définie par la publication en ligne « Pour la Solidarité » :
« Achats groupés, covoiturage, finance participative, troc de jouets ou de vêtements, échange de maisons… La consommation collaborative ne cesse de s’étendre en Europe. Fille de la crise et de la révolution numérique, cette nouvelle économie est porteuse d’espoir pour le Vieux Continent… Tous les milieux – ou presque – font l’éloge de ses mille vertus.
Le consensus apparent autour de cette économie émergente n’est pourtant pas sans soulever de questions quant à sa nature et à son ambition. La consommation collaborative constitue-t- elle un mouvement citoyen porteur d’un modèle économique alternatif et durable ou offre-t- elle, au contraire, un nouveau souffle au capitalisme ? »
La consommation collaborative : une révolution citoyenne ?
Le lecteur aura vite compris, en conclusion, que la vision étriquée, assimilationniste et démagogique des « aligneurs de prix » ne peut déboucher sur rien de constructif et de durable mais n’est qu’un paravent, un prétexte au chaos.
* Une des rares recherche d’envergure sur notre mode de consommation est la thèse de doctorat d’Etat de Michel LOUIS (Paris IX, Dauphine juin 1981) L’échange idéal. Essai sur une problématique de la consommation en Martinique.
Fort-de France le 1/5/25
Marie Laurence DELOR
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