« SAMO, A tribute to Basquiat » : une rhapsodie théâtrale

— par Roland Sabra —

Une rhapsodie théâtrale dominée par la figure du père et par le jazz. Une écriture en mouvement de paroles et de notes.

A la recherche du Père. Basquiat-Guédon dans une symbiose aux contours évanescents, aux frontières vaporeuses comme un reflet d’une peinture-écriture dont le trait d’union serait le jazz. Koffi Kwahulé, dont l’écriture est habitée par le Jazz comme on a pu le voir dernièrement au T.A.C. avec Jaz mis en scène par Jandira Bauer, a répondu, sans trop se faire prier, à la commande de Laetitia Guédon d’un texte sur Jean-Michel Basquiat.

Coltrane-Parker pour Kwahulé-Basquiat. Pour l’écrivain dramaturge c’est Coltrane considéré comme le saxophoniste le plus révolutionnaire des années 40-60, celui qui sans cesse a repoussé les limites de l’instrument dans une quête stylistique et spirituelle bordée d’alcool et de drogues. Mort à 41 ans d’un cancer du foie. Pour le peintre, c’est Charlie Parker Jr fils unique de Charlie Parker Senior, pianiste et danseur, nomade. Parker Jr est l’inventeur du jazz moderne, prometteur du bebop, celui qui va bouleverser la mélodie, le rythme et l’harmonie, avec des œuvres qui vont devenir des standards. Mort à 34 ans ravagé par l’alcool et la drogue..

La figure du père c’est Basquiat fils de Gérard Basquiat, un père rongé par la violence avec lequel il sera malgré les querelles, les conflits toujours en contact, et Andy Warol, le mentor de 32 ans son aîné, dont la mort en 1987, à la suite d’une opération de la vésicule biliaire, d’une crise cardiaque due à des excès plongera Jean- Michel Basquiat dans une profonde dépression. Dépression qui n’aura de porte de sortie que l’overdose. Basquiat, accidenté par une voiture à l’âge de 8 ans et à qui on enlèvera la rate. Warol, victime d’une tentative d’assassinat. Les coups tirés lui transpercent le poumon, l’œsophage, l’estomac, le foie et la rate. La vésicule biliaire et la rate à la proximité anatomique immédiate.

La figure du père c’est encore Henri Guédon, artiste-peintre et musicien de jazz martiniquais qui de Big Band Jazz Caraïbes en Latin Jazz Band , en passant par un groupe expérimental dont l’instrumentorium composé de 200 instruments afro caribéens, afro asiatiques, se mêle aux divers instruments classiques occidentaux va creuser le sillon de la tradition antillaise et le mener à travers le monde. Henri Guédon c’est aussi le peintre, adoubé par Jack Ralite qui couvrira de fresques les murs du quartier La Maladrerie à Aubervilliers dans les années 80. C’est l’artiste dont Aimé Césaire dira : « Ma rencontre avec Henri Guédon m’a permis de pénétrer dans un monde très spécial d’écritures : écritures de couleurs ou les caractères sont des traits, traits des visages, contours de masques d’une énigmatique beauté chargée de solitude. » Henri Guédon qui meurt en 2006 à la suite d’un opération… du cœur.

Et puis outre le père il y a la mère de Basquiat. La Folle. Celle qui nourrit l’enfant à la mamelle des musées, celle qui mêle peinture et lait maternel.

Coïncidences et corrélations certes ne sont pas causalités et ces éléments biograhiques  ne sont évoqués que comme éléments d’une constellation étoilée à travers laquelle chacun trace son chemin…

Laetitia Guédon, comédienne et metteure en scène précoce aux talents reconnus, aux héritages multiples, existentialiste en actes, propose donc avec « SAMO, a Tribute to Basquiat » une rhapsodie théâtrale de toute beauté qui balance entre hommage et dépassement.

L’argument est simple il s’agit d’évoquer, les premières années de la carrière fulgurante de Jean-Michel Basquiat, peintre étasunien, né à New-York d’une mère portoricaine et d’un père haïtien. Évoquer et non pas raconter car ici l’histoire est secondarisée. Elle est déjà connue. Les personnages deviennent des enquêteurs à propos d’un événement, d’un drame qui a déjà eu lieu. Laetitia Guédon l’annonce très clairement dans sa note d’intention. « Mon projet SAMO, avec le théâtre devient une enquête… pour savoir comment la parole, les mots de Koffi Kwahulé, mettront un coup de poignard dans le silence du mur prêt à peindre. » Le récit abandonne toute idée, de système, de linéarité, de commencement, de fin, de milieu mais subsiste sous une forme morcelée, à charge pour le spectateur dont on présuppose l’intelligence de le reconstituer. Il en est de même pour les personnages qui se diffractent sous le regard. Trois interprètes sur le plateau, pour trois façons de voir Basquiat. Il y a le Basquiat solaire au corps brûlant, dieu de danse, parfois brisé mais toujours renaissant en quête de notoriété. Il y a le Basquiat errant entre misère et pauvreté dans les rue new-yorkaises tagueur à la recherche du spot qui les effacerait tous. Il y le Basquiat « jazzophile » qui faute d’être musicien se balade avec une boite à musique et qui n’ayant jamais rompu avec le père en porte la parole surmoïque.

Cette nouvelle forme de drame moderne peut déstabiliser par la rupture qu’elle opère avec le drame classique. («  C’était mieux avant diront certains !) La modernité se repère dans l’inversion du sens habituel du drame. L’événement ayant eu lieu l’histoire et la mémoire en ayant fait un puzzle, il s’agit non pas de le reconstituer tel qu’il aurait pu être mais de le recomposer à la lumière du temps présent semblable et différent, d’en saisir le mouvement sans pour autant le figer. Les personnages sont par conséquent souvent dans une attitude de rétrospection surplombant leur passé. La mise en scène joue du registre de la variation/ répétition sur les modalités d’une répétition esthétique différentielle productrice d’écarts repérables dans un discours en spirale et qui  pourtant n’est « jamais tout fait le même ni tout à fait un autre ». Et Basquiat, unique et multiple sur le plateau de dire et redire ce que pouvait être SAMO. Au traditionnel personnage en action se substitue un personnage en questions, étranger à lui-même absent aux autres, comme l’individu de ces temps incertains perdu dans l’écart entre la méconnaissance de ce qu’il est et ce qu’il donne à voir. La direction d’acteurs restitue bien cet univers de monologues univoques faisant figures de dialogues. L’enfermement conversationnel n’est rompu qu’à de rares moments quand par exemple la metteure en scène suggère l’indissoluble lien entre père et fils. L’impossible de la représentation de ce qui a été, de ce qui n’est pas et qui jamais ne sera plus, n’est pas ici figurée par un surjeu mais par un vrai faux-jeu qui par un travail sur la diction, la coupure du mot, la césure de la phrase introduit une distance entre le comédien et son texte présenté comme une offrande faite à l’interprétation du spectateur. Plus qu’une interprétation il s’agit là d’une re-lecture personnelle en fonction des acquis, des expériences, des histoires plurielles de tout un chancun. La gageure est d’arriver à faire en sorte que le comédien dans ce vrai faux-jeu arrive à se faire oublier en oubliant lui-même qu’il joue. Si cela n’a pas toujours bien fonctionné lors de cette première on peut assurément penser qu’avec un peu plus de maturité l’effet voulu sera sur le plateau.

Un mot pour finir en signalant le beau travail de vidéo, entre projection et mapping, sans oublier le très bel accompagnement sonore ni bien sûr la maîtrise des comédien/danseur/musicien qui contribuent à la création d’un univers esthétique et poétique dont une partie du public aurait bien voulu qu’il se poursuive le reste de la nuit.

Fort-de-France, le 11/03/2017

R.S.

Voir la captation vidéo du spectacle

https://www.france.tv/france-o/multiscenik/891749-samo-a-tribute-to-basquiat.html