Rembrandt par Jean Genet

Le projet d’un livre sur Rembrandt accompagna Genet durant une dizaine d’années. De sa confrontation directe avec les œuvres vues dans les musées prenait corps peu à peu cet ouvrage.
En septembre 1958, L’Express publiait sous le titre Le Secret de Rembrandt, un découpage d’extraits du livre dont il annonçait la publication prochaine aux Éditions Gallimard. Genet a-t-il alors préféré se ménager le temps de refondre ou de compléter son travail ? Absorbé par son théâtre, a-t-il reporté son projet à plus tard ?
On sait seulement que, bouleversé par la mort de son ami Abdallah, il se résolut en avril 1964 à détruire le contenu d’une valise pleine de manuscrits.
Ne subsistent que deux fragments publiés en mai 1967 dans la revue Tel Quel sous le titre Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes, qui s’ajoutent au Secret de Rembrandt publié en 1958. Avec l’accord de Genet, ces textes ont été insérées respectivement en 1968 et 1979 dans les tomes IV et V de ses Œuvres complètes.
La présente édition qui les rassemble pour la première fois tente d’illustrer par un choix de détails significatifs les œuvres citées, le regard personnel de Genet sur Rembrandt. Un regard autre, et qui va plus loin.

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Ce qui reste des Rembrandt de Jean Genet

—Par Sophie Joubert —

Des textes rares sur le peintre hollandais rassemblés dans une édition illustrée.
Rembrandt, de Jean Genet.
« L’Arbalète », Gallimard, 96 pages, 20,20 euros.
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Rembrandt, de Jean Genet. «L’Arbalète», Gallimard, 96 pages, 20,20 euros.

La passion de Jean Genet pour Rembrandt l’a accompagné toute sa vie. L’histoire des textes qu’il a consacrés au peintre hollandais, matériau d’un livre jamais achevé de son vivant, est tout aussi longue, accidentée et captivante. Grâce à Thomas Simonnet, directeur de la collection « l’Arbalète » chez Gallimard, ils sont enfin rassemblés en un élégant recueil, illustré par les tableaux précisément cités par l’auteur, dont la Mère de Rembrandt lisant, la Fiancée juive ou le fameux Autoportrait de 1668.

L’intérêt de Genet pour Rembrandt remonte aux années 1950, alors qu’il découvre ses toiles dans les musées européens. En 1958, il publie dans l’Express « le Secret de Rembrandt », illustré de neuf reproductions en noir et blanc. En mars 1964, il confie deux autres textes à des revues, l’une anglaise, dirigée par le poète John Ashbery, l’autre italienne, dirigée par Italo Calvino et Elio Vittorini. Ils échapperont ainsi miraculeusement à la destruction de ses manuscrits par un Genet désespéré par la mort de son ami Abdallah Bentaga. Réunis sous le titre éloquent Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes, ils sont publiés par Tel quel en 1967 et présentés, selon le voeu du poète, sous forme de colonnes qui mettent en évidence les correspondances entre les deux textes. L’édition posthume des œuvres complètes, en 1995, reprendra cette présentation mais sans les reproductions de tableaux.

Simplement intitulée Rembrandt, cette nouvelle édition est précieuse parce qu’elle offre au lecteur un vrai dialogue entre texte et images. Elle permet aussi de comprendre le cheminement de Jean Genet dans l’œuvre du peintre, de mettre en évidence la manière dont son regard s’affine, questionne sa propre vie et sa pratique artistique. « Rembrandt ! ce doigt sévère qui écarte les oripeaux et montre… quoi ? Une infinie, une infernale transparence », écrit-il dans Ce qui est resté… En 1958, Genet s’attache à la renaissance de Rembrandt après la mort de sa première femme, Saskia, en 1642, à l’abandon du faste et de la théâtralité, au véritable apprentissage de la peinture, à 37 ans. La réflexion des années 1960 porte davantage sur la découverte de la peinture comme véritable sujet des tableaux et la dépersonnalisation des modèles, menant à l’universel. Une révélation fulgurante dont Genet fera l’expérience dans un train, en croisant le regard d’un passager sale et décati : « Tout homme est tout autre homme et moi comme tous les autres. »
L’Humanité