« Pull » – une mélodie en sous sol … du théâtre

— Vu par José Alpha —

pull-1

Il s’agit d’un rendez-vous-piège tendu par « la Baleine », certainement un boss du milieu, dans les sous-sols du théâtre Aimé Césaire à Fort de France, à ces deux flingueurs sur le retour qui n’ont d’arsenal que leur 9 mm et un lyrisme méchamment baroque qui tord le cou aux comédiens, gens de la scène et autre poète habitués des lieux.
La pièce commence par la surprenante apparition de nos deux malfrats qui vont inspecter de fond en comble le lieu du rendez vous. Les types sont nerveux ; torches et flingues à bout de doigt prêts à cracher la purée sur une mouche qui s’aventurerait dans leur périmètre. Paranos et stupides, balourds et  demeurés, ils attendent, l’œil vif, dans les sous sols du théâtre la venue d’un émissaire, ou de la Baleine lui-même, qui leur dira le motif de la convocation ou leur confiera peut être une autre mission.  Nous ne le saurons jamais ; en tout cas ni « la Baleine » n’apparait, ni changement de plan ne leur fera changer d’avis ;  il faut rester en place et attendre dans la pénombre du débarras, un point  c’est tout.
Curieuse affaire qui sent le coup fourré et qui annonce au fond de chacun l’agonie des butors en équilibre sur les bords de la case folie. Parce qu’à force de tourner en rond, on se fait la causette, et se raconter ses histoires, ses fantasmes, tenir des réflexions sur leur vie pathétique, la philosophie de leur existence ratée, devient le dénominateur commun  de nos deux « héros » inclassables.
Comment sortiront-ils de cette chausse-trappe où l’un est face de l’autre à s’épier ? L’un baraqué, cheveux gominés, pétoire aussi flasque que sa poésie de comptoir qui fait chavirer les petites faiblesses jusqu’à la mort. C’est  Rudy Sylaire, un comédien haïtien qui conduit son personnage homophobe (les poètes sont des pédés) avec finesse et humour dans les pénombres délétères d’une relation adultère avec la femme de l’autre.  L’autre, plus petit, plus vif, blanc de peau avec une tonsure de moine qui pend raide jusqu’à la nuque, gâchette facile et rusée au point de prévoir les mouvements d’un ravet ivre camouflé derrière les frasques de sa pétasse. C’est Christian Charles, comédien martiniquais d’expérience qui conduit là aussi avec souplesse ce philosophe de la gâchette à l’intelligence de reptile, et au sang froid.
Les types sont relous, ils attendront jusqu’à la fin dans ce lieu sordide complètement sans dessus dessous, au 3eme sous sol d’un théâtre.  Il fallait la trouver celle-là ;  les trajectoires  de deux minables paranos et racistes qui se racontent avec les mots et dans la mise en scène d’Hervé Deluge, leurs performances d’ indomptables asociaux chaussés de pompes à « 6000 boules » et de dents en or placés exprès en fond de bouche pour protéger son capital. Faut le faire. Et Deluge l’a fait. La comédie est là, elle se révèle à nous aussi universelle que créole, aussi attirante qu’une Bd dont les pages s’envolent d’empressement à connaitre le dénouement. Mais là, les pages sont ponctuées par une musique de fanfare et de mélodies de trompettes là aussi décalées qui rappellent agréablement ces ambiances de kermesse de village. Certainement un peu trop utilisées. Mais bon quand même.
Faire rire par la comédie de gestes, de mots et de situations, de telles tranches de vie glauques de mélancolie, de violences et de douces amertumes sans se répéter, toujours en rebond ,  et surtout maintenir la tension dramatique bien au delà de l’exécution de la pauvre pompom girl-livreuse de pizza (Sarah Desanges), les comédiens jouent et se regardent jouer comme nous les spectateurs prenons plaisir à les suivre dans les pénombres poussiéreuses de leur destins de pantins.  Le poison dans la pizza, les ordres aux téléphones d’exécuter l’un et l’autre, le sommeil du cyanure ou la corde qui tombe des cintres juste avant le noir sec ? Qui sait ? En tout cas, ils attendront jusqu’en enfer à la lumière de la flamme du briquet chalumeau. «Vaut mieux rire de la médiocrité de l’existence que de pleurer ses rêves perdus» (en créole) me rappelle Ti Bouboul, un humoriste martiniquais qui m’a toujours fait rire de rien ; aujourd’hui extraterrestre. Je verrais bien cette comédie en tournée territoriale.

Sur le même sujet

PULL! ou de l’ironie aux Antilles

Pull : deux truands sur le retour

Pull : mité

« Pull » – une mélodie en sous sol … du théâtre

« PULL », derrière le rideau, le cinéma