Pourquoi faut-il relancer la dynamique des maisons des jeunes et de la culture ?

Une société qui n’éduque plus est une société qui ne répare plus

Rappel des faits. À l’heure où la société se trouve fragmentée et où toute une génération est en quête de repères, des MJC doivent fermer ou revoir leurs ambitions pour des raisons budgétaires.

Au-delà du quantitatif, des choses fondamentales

— Par Miguel Benasayag Philosophe et psychanalyste. —
Lors de mon arrivée en France, je me souviens avoir été heureux de découvrir l’existence des maisons des jeunes et de la culture. Présentes dans de nombreuses villes, ces MJC, dans lesquelles on trouvait des cinémas, des activités, des lieux de réunion et dans lesquelles une prise de parole publique était possible, m’apparaissaient comme le symbole d’une époque dans laquelle la construction du lien social solidaire demeurait une réalité. J’arrivais d’années de prison dans un pays en dictature et c’était quelque chose d’admirable que de pouvoir me dire : « Voilà des outils d’une société démocratique. » Grâce à ces MJC, les gens n’étaient ni parqués chez eux ni paumés dans la rue. C’était une offre de rencontre, une invitation à la solidarité pour construire du socle commun. Cette première surprise demeure vivante encore aujourd’hui, dans une certaine mesure. Ça reste vrai, possible, même si c’est articulé avec le côté triste de voir comment les MJC ne peuvent plus exister pour ce qu’elles sont. Ces associations sont devenues des « modalités gestionnaires de projet » en restant muettes sur ce qu’elles pensent du service rendu à la population. Chez les élus locaux qui auraient dû les financer et les protéger, existe désormais de la méfiance. Cette méfiance, la population ne la voit pas. La disparition récente de quantités de MJC en Île-de-France montre pourtant à quel point ces associations, par leur histoire, par ce qu’elles pourraient faire, ne sont pas perçues comme de simples « opérateurs ».

En accompagnant plus qu’en résistant à l’évolution négative de notre société, société de la rupture des liens, ces lieux ont survécu grâce à une offre bon marché de services qu’une partie de la population ne trouvait pas ailleurs. Ça reste vivant par une activité culturelle dense que cette partie de la population continue d’utiliser, tout en niant ou en oubliant l’esprit de pourquoi ces lieux avaient été créés.

Les pouvoirs publics, en accompagnant cette évolution d’effritement et de rupture du lien social, ont été capturés par la logique néolibérale du profit, de l’évaluation quantitative. Ils ont abandonné l’idée qu’au-delà du quantitatif, il existait des choses fondamentales, qui avaient elles aussi des conséquences quantitatives. La sensation qu’à travers la MJC, il se vit du lien, de l’apprentissage des responsabilités, permet qu’existe dans un quartier non pas de la pacification sociale, mais une qualité de vie, qui a elle aussi des conséquences quantifiables. Ils en ont oublié le principe fondamental de péréquation, ce principe à partir duquel on répartit les charges dans un but de justice sociale. Ils ont oublié qu’on n’administre pas le quartier ou la ville comme une entreprise.

Ici réside cette vision stupide d’émiettement social qui conduit nos dirigeants à considérer que toute institution doit être rentable, mise en concurrence avec d’autres et être évaluée à travers ce prisme. Dans l’organicité du lien social d’un quartier doit demeurer le principe de péréquation par lequel on doit penser la redistribution de l’argent public dans une globalité pour que le quartier puisse vivre et se développer du point de vue des liens. Quand cette vision organique n’existe plus, tout est perçu d’un point de vue concurrentiel. Les MJC n’échappent pas à cette évaluation. Qui produit le plus ? Qui est rentable ? C’est la capacité de service des MJC qui est reconnue, aux dépens de leur capacité politique. Elles sont donc contraintes à une spécialisation technique et sectorielle. En faisant cela, les pouvoirs publics qui pourtant prônent le vivre-ensemble se condamnent eux-mêmes en attaquant le lien social. Sans assimiler la société à une famille et à ses principes organiques, tentons de transposer et imaginons ce que cela donnerait : pour être acceptés dans la cellule familiale, faudrait-il que les enfants ou la vieille grand-mère produisent pour qu’il y ait retour sur investissement ?

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