Ouverture du mois du Japon : « Asako I et II »

— Par Selim Lander —

Ainsi en a-t-il décidé : au mois de décembre, Steve Zebina programme des films japonais. Et l’on applaudit des deux mains car le Japon est un pays fascinant, en particulier mais pas seulement pour son cinéma. Quel cinéphile ne garde pas dans un coin de sa mémoire quelques films venus du pays du Soleil levant qui l’ont particulièrement marqué ? Films intimistes, films noirs, films érotiques sans oublier les films de yakuzas ou de samouraïs, les Japonais qui semblent exceller dans tous les genres ont façonné (une part de) notre imaginaire.

Inutile de se leurrer : la fascination exercée par le cinéma japonais tient avant tout au Japon lui-même, tant ce pays de l’Orient lointain est différent de notre Occident. Prenons par exemple Asako. On pourrait croire que ce film absolument contemporain, avec des jeunes Japonais d’aujourd’hui, nous dépayserait moins qu’un film d’Ozu, par exemple. Eh bien non, ce sont les mêmes courbettes à la moindre occasion !

Asako I et II de Ryusuke Hagamushi

Asako I qui pleure et Asako II qui ne rit pas beaucoup plus. Une fois admis le caractère peu communicatif de l’héroïne du film et passé le prologue (Asako I) passablement ennuyeux, on se réveille avec la suite (Asako II). Asako (Erika Karata) est donc l’héroïne du film, une – comme de juste – très mignonne personne. Dans la première partie qui se déroule à Osaka, elle est amoureuse de Baku, un très beau garçon suivant les canons japonais mais un personnage cinématographique complètement invertébré. Donc Asako est amoureuse et malheureuse. Exit Baku ; Asako (II) dépitée déménage à Tokyo où elle tombe bientôt sur Riohey, le sosie de Baku à ses yeux. Bien que plutôt effrayée au début par une ressemblance aussi extraordinaire, elle finit par succomber aux approches d’un Riohey très amoureux. Mais, bien sûr, Baku finira par réapparaître et, à ce moment-là, il se passera… ce qu’un critique n’a pas le droit de dévoiler de crainte de diminuer l’appétit des spectateurs pour le film.

On peut malgré tout en dire un peu plus sur l’(anti-)héroïne, la jeune Asako, personnage de cinéma qui n’est pas sans évoquer un courant de la littérature japonaise illustré en premier lieu par Kenzaburô Ôé (prix Nobel 1994), particulièrement les romans quasi-autobiographiques où il « met en scène » son fils handicapé. Dans Une existence tranquille (1990, trad. 1995), Eoyore est épileptique, se déplace un peu maladroitement mais compose de la musique et a parfois des réparties qu’on n’attendait pas de lui. Il dépend néanmoins entièrement de sa sœur Mâ, en l’absence de ses parents qui sont partis (ou ont pris la fuite ?) aux Etats-Unis où le père écrivain est invité en tant que writer in residence.

J’ai pensé à ce remarquable livre (qui consacre, soit dit en passant, plusieurs pages à l’analyse du film Stalker de Tarkovski) en visionnant Asako parce que l’héroïne est, elle est, elle aussi, un être à la fois handicapé, qui a besoin d’amies très proches (coloc, etc.), et plus tard de Riohey, pour traverser l’existence, qui demeure la plupart du temps mutique – au point que c’est un soulagement pour les spectateurs les rares fois où elle prend la parole – mais qui a elle aussi reçu un don : sa beauté. Asako, personnage central du film de Hagamushi, comme Eoyore chez Ôe, est donc comme lui essentiellement négative, et de façon très semblable. Comme pour Eoyore, c’est la fragilité-même d’Asako qui attire à elle des bonnes âmes qui se chargeront de lui aplanir les difficultés de l’existence. Sans oublier Jinsan, le chat, chargé de combler un éventuel déficit de tendresse.

Hagamushi n’est pas un magicien de la pellicule. Il filme d’une manière appliquée : tous les plans (même ceux qui montrent simplement l’architecture des grandes villes japonaises) ont un sens et sont à leur place. Le scénario ménage peu d’interrogations, sauf les séquences filmées sur la route, la nuit, qui créent une certaine inquiétude. Un accident de moto « bidon », dans la première partie, dont Asako et Baku sortent sans la moindre égratignure, laisse perplexe. Pour le reste l’histoire suit son cours. On attend la réapparition de Baku : elle vient à son heure. Le film tient grâce à la personnalité énigmatique d’Asako, à sa fragilité. A signaler tout de même la performance de la maquilleuse et de Masahiro Higashide qui interprète à la fois Baku et Riohey sans que le spectateur soit jamais sûr qu’il s’agit bien du même comédien.

Deuxième projection, le 19 décembre à 19h30 (ou 19h40 sans la pub).