« Ô vous frères humains » : au cœur d’une énigme

Jeudi 20, vendredi 21, samedi 22 avril 2017, 19h 30 au T.A.C.

Photo Manuel PASCUAL (mention obligatoire)
Répétition au Théâtre des Halles
O vous frères humains
d’Albert Cohen
Mise en scène Alain Timar
avec Paul Camus, Gilbert Laumord et Issam Rachyq-Ahrad

— Par Christian Antourel —

Le livre d’Albert Cohen «  Ô vous frères humains » est publié en 1972 alors que l’auteur atteint l’âge de 77ans. C’est un écho que nous rapporte Albert Cohen, une anecdote qui a son origine au mois d’août dans une rue de Marseille. Il confie un souvenir qui le hanta toute sa vie : un enfant juif de 10 ans né à Corfou en Grèce découvre un jour la haine et le rejet dans les paroles d’un camelot occupé à vendre des bâtons de détacheur. Cet enfant, c’était lui.

Des questions innocentes, justes humaines telles que : comment se forge un regard ? Qu’est-ce qu’une image? Comment retrouver la gratuité de l’existence, aimer et être aimé ? taraudent la mémoire du gamin  et interrogent son identité blessée Il a ressenti la peur du rejet, a entendu des insultes dans leur version brute violemment antisémites et a vu la haine dans les yeux d’un camelot au demeurant sympathique, il est tombé en arrêt devant cette inscription sur un mur « mort au juifs.» Albert Cohen n’en finit pas d’en découdre avec les conditionnements, les dimensions du réel, les formes du regard et du langage, intervenant au nom d’une liberté de pensée sadique toute narcissique. Toutes questions qui de  la nécessité intérieure à « la société des hommes » interroge les gestes et l’espace. Ici l’enfer c’est l’autre : c’est lui montré du doigt, l’insupportable juif « le dos soudain courbé…affreux sourire tremblé, sourire de la honte … sous les rires de la majorité satisfaite » qui orchestre une humanité triviale et outrancière. Chez Alain Timar, il n’y a pas une mise en scène au sens traditionnel du terme mais une sorte de logique de la sensation qui enveloppe dans une seule figure toutes les dimensions de son propos qui réfléchit sur la perte de l’état de nature en l’homme. Sur le plateau l’énigme devient l’espace. Cette mystérieuse profondeur mouvante toute en torsions et volutes d’où surgissent et sont absorbés les comédiens, et où tout semble en suspens a l’effronterie d’une danse. Les trois comédiens, Paul Camus, Issam Rachyq-Ahrad, Gilbert Laumord jouent un seul et même personnage : Albert Cohen, qui est bien vivant tout en souffrant de ne pouvoir vivre. Cet arc-en-ciel à trois faces aux couleurs complémentaires suffit à traverser le plateau d’une universalité triomphante. La mise en théâtre d’Alain Timar entreprend un certain labeur d’intimité dans cette mise en jeu partagée de cette expérience singulière. Elle croise la chorégraphie de Danielle Paume et le théâtre, dans des points de fuite : transformation polyphonique des lignes qui se dessinent entre fuites et poursuites, entre les routes et les déroutes ; ces voix qui glissent dans la tête chamboulée d’Albert Cohen qui s’écroule à l’intérieur de lui-même, comme en état de deuil permanent, front d’intensité remue méninges. Un travail qui prend la fugue du môme comme substance, qui ne cesse de se rattraper tout en avançant. Le travail d’Alain Timar éclaire un discours qui pointe obsessionnellement le lieu d’un conflit, d’un échec, d’une impossibilité, d’une incapacité à accéder à un humanisme commun. Fidèle à la pensée de l’auteur, l’intention d’Alain Timar n’est pas de « juger » les individus. Sans revendication, sans violence aucune le texte de l’auteur à la syntaxe libérée oppose sa musicalité à la violence du camelot. Alors lorsque le spectateur devient plus
témoin que confident, la pièce éprouve la nécessité de prendre place dans l’espace public.

En pratique :

Au Théâtre Aimé Césaire
Jeudi 20, vendredi 21, samedi 22
19h30.
D’après l’œuvre d’Albert Cohen

Mise en scène et scénographie :
Alain Timar
Adaptation : Daniel Paume
Avec Paul Camus, Gilbert Laumord,
Issam Rachyq Ahrad

Production : Théâtre des halles Scène Avignon.
Compagnie Alain Timar

Texte paru dans Le Magazine France Antilles

Christian Antourel