L’inspecteur, troisième œil, de la classe ?

Par Roland Tell —

Quoi faire pour que les professeurs cessent de projeter leurs finalités dans les élèves ? Comment faire aussi pour qu’ils cessent d’attribuer à ceux-ci, par autogratification naturelle, cet élan qui les a poussés vers l’enseignement ?

Certes, il faut se méfier des périodes de grâce, de talent. L’enseignant n’est pas un acteur. Il doit regarder les élèves, et se regarder, lui-même, comme un élément du système, regarder quelle est sa rentabilité, son efficacité. C’est une chose difficile à réaliser. On y est porté par des considérations technologiques. Si l’organisation du travail pédagogique entraîne le travail en équipe, alors l’autogratification ne sera plus possible. En étant seul dans sa classe, le professeur se décerne facilement des « satisfécit », même inconscients. S’il travaille tous les jours avec un collègue, ou des collègues, la projection n’est plus possible. Il perd, certes, une des satisfactions personnelles, esthétique, artistique, créatrice, les plus intenses du métier.

Cette introduction d’une considération, comme celle de rentabilité, c’est l’introduction d’un regard « externe » dans le rapport pédagogique, dans un rapport pédagogique, qui définissait jusqu’alors, du point de vue des attitudes, et du point de vue de l’élan subjectif, l’aspect personnel de la philosophie de l’éducation. C’est, depuis Socrate, le fond philosophique du débat ! C’est cela qui est contesté par la nouvelle philosophie des institutions éducatives : la mise en question du système éducatif doit faire partie du système, sinon la formation se referme sur elle-même, et solidifie le système. D’où la nécessité d’une ouverture permanente du système sur lui-même !

Y-a-t-il encore une solitude du professeur devant ses élèves ? Est-elle toujours revendiquée, parce que « euphorisante » ? L’inspecteur d’aujour’hui reste-t-il complice de cette solitude, parce que, le professeur étant seul, on a longtemps admis dans la classe qu’un seul oeil : le sien ? Il se trouvait être alors le troisième oeil, qui voyait l’enseignant, et qui entrait dans la classe, avec plus ou moins d’objectivité, sans mettre cependant en question la solitude fondamentale de celui-ci.

Or, dès que le professeur centre sa pédagogie sur les èlèves, l’inspecteur ne peut plus « inspecter », au sens traditionnel du terme. Il est obligé de rédiger tout autrement son rapport. Dans le cadre de l’animation pédagogique, il n’a plus de rapport avec des individus ! Ce sont des équipes, qu’il rencontre. La notion de recul, de jugement inspectoral, n’a plus de sens dans l’animation pédagogique, parce que l’inspecteur y est responsable de la méthode. Il est facile, pour un inspecteur, de dire : « Il ne faut pas.. » Si le professeur ne fait pas ce qu’il faut faire, c’est l’inspecteur, qui en est responsable dans le cadre de l’animation pédagogique.

C’est pourquoi, de plus en plus aujourd’hui, en Octobre 2018, il convient d’expliciter les objectifs en termes d’analyse, il faut s’arracher à l’autogratification, il faut s’ouvrir à ce travail en équipe, il faut savoir gérer les équipements modernes. L’animation pédagogique véritable dépasse les cloisonnements hiérarchiques, plaçant ainsi les participants dans la même situation, par rapport à la réflexion, et à la problématique de l’action pédagogique.? Ce n’est qu’à partir de là, qu’il faut admettre que l’inspecteur n’est pas forcément le plus fort de la Circonscription en mathématiques, en linguistique, en musique, en sport ! C’est pourtant là un des présupposés du rapport d’inspection ! Si on le rejette alors – ce présupposé, l’inspecteur ne tirera plus son autorité de sa « supériorité dans toutes les disciplines », mais de l’animation pédagogique elle-même. Par exemple, avec l’animation dans sa Circonscription, l’inspecteur peut amener des professeurs d’université, directement en contact avec les enseignants, en vue d’une élucidation théorique sur leur action, et sur leur métier, en vue aussi d’un travail commun de recherche opérationnelle, de l’approfondissement conceptuel de telle ou telle discipline, confronté à tel ou tel modèle de comportement en classe ! En effet, qu’est-ce qu’un contenu pédagogique, qui ne serait pas l’articulation d’un contenu, et des structures mentales enfantines propres à le recevoir, et permettant ce qui serait la pédagogie comme telle ? N’est-ce pas qu’aujourd’hui la pédagogie se définit de plus en plus, non comme contenu, non comme discipline applicable, mais comme dénominateur commun à des problématiques disciplinaires, qui confrontent leur technologie ?

Dans cette perspective, l’inspecteur reçoit une nouvelle fonction. Il devient le responsable de la rénovation pédagogique dans sa Circonscription. Il faut donc qu’il élabore cette rénovation, en mettant en place des planifications, allant de la concertation au recyclage. Alors, une nouvelle période passionnante s’ouvre, où il importe de découvrir de nouveaux critères cohérents de fonctionnement, susceptibles de remplacer l’autorité descendante de toujours ! Enfin, dans cette perspective aussi, la possibilité apparaît d’articuler des formations initiales et des formations continues, de différents corps d’enseignants, autour de troncs communs, unifiés par-delà les ordres d’enseignants. Par exemple :

– l’enseignement de la communication,

– la socio-politique de l’enseignement,

– la technologie de l’éducation,

peuvent avoir un aspect commun à tous les modes d’enseignement, de la Maternelle au Lycée, en vue d’une unification des régimes de formation, portant enfin sur le système éducatif, considéré dans sa globalité.

ROLAND TELL