« La Rue Princesse » a enjaillé Tropiques-Atrium

— Par  Roland Sabra —

la_rue_princesse-42011 : mort et résurrection de La Rue Princesse. Le 05 août de cette année là le président Ouattara, fraîchement élu, envoie ses bulldozers « nettoyer », plus exactement raser La Rue Princesse dans le quartier d’Aya de la commune de Yopougon juste au nord d’Abidjan, la capitale économique de Côte d’Ivoire. Cette rue mythique, connue internationalement pour ses maquis (boites de nuit à ciel ouvert) ses bars dans lesquels la bière se compte en casiers, ses commerces en tout genre, ses musiques, ses danses, son imaginaire écervelé, ses rumeurs, ses dires et ses rires appartenait au peuple des rues. La dernière trace de chenille de bulldozer à peine effacée par la pluie, La Rue Princesse renaissait sous la forme d’une pièce chorégraphique portant son beau nom.

L’idée appartient à Jenny Mezile, une chorégraphe d’origine haïtienne, mais ivoirienne d’adoption quand elle n’est pas parisienne. Elle fonde sa première compagnie en 1994, et c’est à Paris en 1997 qu’elle rencontre le danseur Massidi Adiatou, né au Nigéria et abidjanais depuis l’âge de deux ans. Ils fondent une compagnie de danse. Elle raconte l’origine du spectacle : « Un soir, comme à l’accoutumée, Massidi et moi étions à la Rue Princesse et vers 1h du matin, je vois arriver une bande de sapeurs dont l’un, lunettes noires et cigare entre les dents, portait un manteau de vison, un jeans moulant, des bottes aux bouts pointus, un chapeau melon… La sueur dégoulinait sur son front. J’ai grave kiffé, trop classe le mec ! J’ai dû le dévisager toute la soirée, sa manière de boire, de fumer, de discuter un film… J’avais l’impression d’être dans un Pulp Fiction à l’africaine. Il venait de me donner l’idée de La Rue Princesse ! On en a parlé avec Massidi qui a trouvé l’idée géniale». Voilà comment est né ce show entre comédie musicale et ballet.

Hymne à la vie frais et tonique, mais aussi chaud et chaleureux exubérant d’énergie et de désirs allumés, le temple, rasé aujourd’hui reconstruit plus sagement, plus édulcoré, est sur scène presque aussi vrai que nature, chantre des hauts lieux chauds et sensuels de la nuit abidjanaise et du coupé-décalé. Ils sont une dizaine environ sur la scène entourée de coté cour et coté jardin de tables de bistrot ou prennent place quelques spectateurs privilégiés. Les guirlandes multicolores scintillent, les cannettes se vident et s’entrechoquent dans un appel continue à venir en plus. Les jupes sont à ras le bonbon, les tenues impensables, invraisemblables, étudiées, recherchées et belles dans l’instant même de leur monstration, dans le temps éphémère où elle sont « présentées ». Et ils nous dansent, l’Afrique urbaine, celle des villes-champignons, celle d’un continent dont la moitié de la population, deux milliards en 2050, a moins de vingt-ans, une Afrique sans complexe qui regarde en face, sa misère et sa richesse, qui débat avec ironie de l’emprise des sectes religieuses, qui joue et qui se joue de l’apparence et des images, une Afrique qui loin de ressasser son passé, se projette résolument vers le futur, vers un avenir qui lui appartient. On est a des années lumières des icônes défraîchies de la non-danse refourguées frauduleusement comme intellectualisation démonétisée, ou de ces peines et ces douleurs réifiées en marchandises du spectacle d’une impuissance native et par avance absoute.

Les chorégraphies sont violentes, elle relèvent d’une mise en danger bordée par un travail  mille fois répété d’une très grande rigueur. La tristesse, quand tristesse il y a, est dansée à l’extrême, enchâssée, prise dans l’étau d’un déhanchement, d’un saut  ou d’une volte-face. La ligne directrice est celle du défi illustré dans des « battles » composées de smurf des cités françaises, de hip-hop, de danses de rues proprement abidjanaises. De leur  aîné Georges Momboye ils empruntent la plastique superbe, la technique impeccable et la générosité hors pair. Du présent ils puisent dans le nouchi, ce patchwork exubérant d’inventivité, une transposition corporelle qui flirte avec un déséquilibre toujours maîtrisé. Un des secrets de leur réussite tient dans une recette composée de quatre-vingt-cinq pour cent de travail, dix pour cent de labeur et cinq pour cent de talent. Le talent s’il n’est pas travaillé n’est qu’une sale manie.

Après Alvin Alley II c’était la deuxième leçon de danse de cette Biennale.

La troupe était présente la veille. Elle a assisté aux productions locales de Programme 2. Ce qu’elle en dit, par delà toute diplomatie est assez piquant. On en reparlera quand viendra l’heure de clore la saison, quand pour 2016-2017 il sera question de programmation.

Fort-de-France, le 20/05/2016

R.S.

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Chorégraphie, scénographie Massidi Adiatou, Jenny Mezile

avec Mariama Adiatou, Bi Boa Jean-Marie Boli, Gnahoua Christ Junior Dogbolé, Fernand Irié, Athanase N’Guessan Koffi, Joulkanaya Kiebre, Bouhouo Sylvain Tahi, Jean Luc Stéphane Tehe, Hamed Traoré

dj Koudous Ayanyemi Adiatou

créateur et régisseur lumière Samuel Bapes

répétiteurs et assistants Fernand Irié, Bi Boa Jean-Marie Boli
musique populaire ivoirienne, univers sonores Massidi, Ayan Adiatou
costumes Hervé Nianzou, Bob Weer
accessoires Charles Glazai
coordinateur Kouamé Charles Bohui
artiste multimédia Ishola Akpo
collaboration artistique Eva Doumbia
remerciements à Marielle Pinsard

production Delphine Boudon, Laure Louvat – Poisson Pilote Production
Biographie(s)

Massidi Adiatou
Jenny Mezile