Jowee Omicil au Biguine Jazz Festival : un séducteur entre tradition et innovation !

—Par Roland Sabra —

jowee_omicil-400C’est un diable d’homme qui a séduit le public martiniquais, nombreux et consentant, lors de la première soirée du Biguine Jazz Festival 2014 au CDST de Saint Pierre. Jowee, il faudrait, parait-il, prononcer« Joey », Omicil en deux minutes à peine a su avec maestria mettre les spectateurs dans sa poche. « Tribute to Stellio », telle était la thématique de la soirée, élaborée lors d’une résidence d’une semaine à Fonds Saint-Jacques en compagnie du batteur Tilo Bertholo (Martinique – Paris), du pianiste Jonathan Jurion (Guadeloupe – Paris), et du bassiste Just Wody (Martinique – Paris). Honneur fructueux(1), on pardonnera la facilité, été rendu au clarinettiste martiniquais(2) mais aussi au concept de la soirée qui se proposait de réunir des musiciens d’horizons divers autour de la biguine et du jazz dans la fusion d’un dialogue d’aujourd’hui mettant en valeur des origines communes et des particularismes issus de l’histoire.  Le choix de Jowee Omicil était on ne peut plus judicieux⋅ D’origine haïtienne, né à Montréal, il vit à Miami en Floride, dans cette avancée étasunienne vers la Caraïbe⋅ C’est à l’âge de quinze ans qu’il débute au saxo alto dans l’église de son père pasteur réfugié, dans la « Belle province », avant d’intégrer la prestigieuse école de Berklee, à Boston, dont il ressort major de sa promotion en «Enseignement de la musique». Ce qui, loin d’être anecdotique, témoigne d’une solide connaissance musicale comme en atteste dans son dernier album, « Naked » sorti il y a quelques mois, un morceau intitulé « Bach 2 bird » qui est à la fois un hommage à Charlie Parker et, plus intentionnellement, à Jean Sébastien Bach. Il ajoutera entre temps le saxophone soprano, la clarinette et la flûte picolo à sa panoplie. Dans les entretiens qu’il accorde, notamment en Martinique il insiste sur la nécessité de ce travail d’appropriation de sources musicales diverses qui puisent aux richesses de l’âme humaine considérée dans son unicité. Car pour Jowee Omicil il n’y a qu’une seule espèce humaine. Quand il dédie son morceau le plus célèbre «  4 for my people » il le fait en ces termes : « « Je l’ai écrit pour les victimes d’inondations en Haïti et je le dédie à nouveau aux victimes du tremblement de terre. Cette mélodie est celle que j’ai voulue qu’ils écoutent. Les Haïtiens sont Africains, et donc cette chanson est pour le monde entier.« 

Cette quête d’un universalisme à partir du creusement d’un terroir revendiqué et assumé le conduit à l’émergence d’un style musical, que l’on pourrait appeler «  World caribéen », qui repose sur de solides connaissances techniques et des avancées jazzistiques qui sans jamais trahir le passé le recomposent pour le faire entendre aux oreilles du siècle qui s’avance.

On comprendra mieux, du moins on l’espère, l’engouement et le succès immédiat de Jowee Omicil en terre de métissage, en Martinique. D’emblée il a joué pour le public auquel il s’adressait et mieux il a joué avec le public quand il n’allait jusqu’à se jouer de l’assistance. Descendant de la scène , se mêlant aux spectateurs, les incitant à chanter, ce à quoi ils répondaient avec enthousiasme, le devançant quelques fois dans ses attentes, n’hésitant pas à improviser Jowee Omicil, avec un sens phénoménal de la scène, a montré qu’il était ici chez lui, en famille, à domicile, si l’on osait une nouvelle facilité. Une belle entente agrémentée d’une estime mutuelle s’est vite installée notament entre le pianiste, le saxophoniste et le batteur, le bassiste, avec lequel Jowee Omicil a déjà tourné, étant ce soir-là, en léger retrait. La performance était marquée du sceau de la sensualité par un jeu du corps, des mimiques et des invites, en tout bien tout honneur, qui renvoyaient à une dimension charnelle,  certes toujours présente en live, mais d’autant plus remarquable que le dernier albun de Jowee Omicil, semble, et on insistera sur la dimension de semblant -n’étant pas musicographe et encore mois musicologue-, semble, disait-on, plus traversé par une quête de spiritualité, dans un travail d’épure musicale riche en promesses d’avenir. L’abandon du titre générique « Roots and grooves » pour ce dernier opus en est peut-être le signe. En tout cas la reprise de quelques standards de Stellio a été l’occasion d’une communion, joyeuse, festive néanmoins empreinte de mélancolie et de vraie reconnaissance. Un moment intense et rare.

Le groupe Zépis qui avait inauguré la soirée a joliment annoncé et préfiguré l’apothéose de « Tibute to Stellio ». On en reparlera, car eux aussi s’inscrivent dans un brassage culturel qui de la biguine, à la mazurka en passant par un jazz mâtiné de maloya et de séga réunionnais est érigé en art musical et en philosophie. Joachim Des Ormeaux a semblé très nettement un ton en dessous. Sa reprise de chansons du folklore a laissé, au delà d’applaudissements de politesse, l’assistance de marbre, à l’exception d’un avant dernier morceau dédié aux talents de patissière de sa grand-mère. Il donne souvent l’impression de chanter sur la musique du groupe qui l’accompagne et non avec la musique. Est-ce une affaire d’ego sur-dimensionné, son occupation excessive de la scène en dehors de toute justification semble vouloir faire ombrage à la formation musicale ? C’était la seule fausse note de la soirée et dieu et/ou diable savent s’il y en eut !

(1) Le véritable nom d’Alexandre Stellio est Alexandre Fructueux

(2)http://alrmab.free.fr/stellio.html

Fort-de-France le 10/08/2014,

Roland Sabra

biguin_jazz_festival_cdst-1

La scène, avec en toile de fond La Pelée, et au premier plan une petite partie du public