Danse à l’Atrium : « Une de perdue ? »

— Par Selim Lander —

Disons tout de suite la réussite de cette pièce, résultat des efforts conjoints de Josiane Antourel et David Milôme à la chorégraphie, avec Chantal Thine et à nouveau David Milôme sur le plateau. Une seule réserve : Une de perdue… une de perdue ? est accompagnée d’un texte détaillant les intentions politiques des auteurs : leur pièce, nous disent-ils, illustre la génération perdue de tous les artistes, danseurs ou autres, « dont le talent n’est pas suffisamment reconnu et qui ne bénéficient pas de soutien à la hauteur de leur art ». On ne sait quoi penser, à vrai dire, d’une telle affirmation, sinon que la situation effectivement cruelle de nombreux artistes est d’abord la conséquence d’un système où la pratique artistique, en ce qui concerne en particulier les arts de la scène, est largement tributaire d’un financement public. Celui-ci n’étant pas indéfiniment extensible et l’habitude s’étant prise chez beaucoup de compter sur lui pour créer un spectacle, il en résulte une course inévitable aux subventions, qui est certes aussi épuisante que frustrante pour les artistes. N.B. : Cette remarque ne signifie pas que le financement public ne soit pas nécessaire pour faciliter la production de spectacles vers lequel le public n’irait pas spontanément (le théâtre de Boulevard parisien n’a pas besoin de subventions).

Quoi qu’il en soit, c’est-à-dire que le discours « littéraire » des auteurs de la pièce soit ou non pertinent, il en va de la danse contemporaine comme de l’art plastique contemporain : les intentions derrière l’œuvre ne sont pas ce qui intéresse en premier lieu le spectateur. Et même, le spectateur averti se garde bien de se laisser influencer par les vade-mecum fournis par les artistes : il veut d’abord se faire sa propre idée sur l’œuvre. Une de perdue, etc. est un duo tout simple avec un homme et une femme qui s’attirent et se repoussent. Certes, le monsieur en tenue officielle (de professionnel des institutions culturelles ?), avec son nœud papillon, se montre plus souvent brutal envers sa partenaire que l’inverse, ce qui pourrait – si l’on tenait vraiment à retrouver l’intention susdite de la pièce – signifier que celle-ci, la danseuse, « exemplifie » l’artiste maltraitée par lesdites institutions. Néanmoins ce n’est vraiment pas ce qui saute aux yeux du spectateur « naïf ». Nous voyons plutôt un duo amoureux classique qu’on pourrait résumer par la formule « je t’aime, moi non plus ».

Au premier tableau, la danseuse est couchée à l’intérieur d’un coffre ouvert. Elle montre une jambe, un bras, la tête, etc. On a déjà vu mais c’est bien fait. Et on pourrait en dire autant pour le reste de la pièce. Peu importe si l’on n’est pas saisi par des inventions extraordinaires : l’art ne peut pas, à chaque fois, tout révolutionner. L’essentiel n’est-il pas de montrer de la « belle ouvrage » ? C’est ici le cas. Les danseurs sont des vrais professionnels. Ils dansent et jouent en même temps. Il y a dans cette pièce du théâtre sans parole (même si la bande son distille de temps en temps des propos censés rendre plus clair le sens voulu par les auteurs, mais ils sont, ces propos, à vrai dire, assez peu audibles) et même du cirque (voir le tableau où la danseuse est entravée dans une corde). La bande son le plus souvent humoristique soutient une narration (celle que la danse peut produire) qui, décidément, ne conforte pas la notice présentant la pièce. Dans ce registre de l’humour, on appréciera particulièrement le passage de la « revue des troupes » : c’est l’homme (bien sûr) qui passe en revue la femme, mais comme celle-ci se moque de lui la partie est nulle, d’autant qu’ils ne tarderont pas à se rejoindre tous les deux dans un numéro de soldats-automates parfaitement réglé.

Les deux danseurs, on l’a dit sont des maîtres de leur art. Leurs visages très expressifs soulignent les sentiments illustrés par la chorégraphie. On est charmé par ce duo où l’amour se mâtine d’une certaine brutalité qui ne quitte cependant jamais le registre du jeu. Bref, on souhaite que cette pièce puisse s’exporter largement. Et tant mieux si le discours explicite qui l’accompagne peut séduire les programmateurs si difficiles à convaincre !

À voir ce vendredi 14 décembre à 20h.