Dans la maison du père, danser au risque du péril

— Par Sophie Joubert —

dans_la_maison_du_pereDans la maison du père, de Yanick Lahens. Coll. «SW Poche», Sabine Wespieser éditeur, 9 euros. Le premier roman de la Haïtienne Yanick Lahens [première parution en 2000] suit l’émancipation par la danse d’une jeune fille de bonne famille.

Dans la maison du père est un roman doublement initiatique. Au sens classique, parce qu’il suit la formation d’Alice Bien-aimé, une jeune mulâtresse de la bonne société haïtienne. D’une manière plus souterraine, parce qu’il pénètre au cœur des cérémonies vaudoues, interdites par un décret de Toussaint Louverture, le 4 janvier 1800. C’est dans une villa de Port-au-Prince, à l’insu de ses parents, qu’Alice découvre cette danse du diable qui libère les corps et les esprits.

Un corps et une île 
en pleine ébullition

Alice Bienaimé est véritablement née d’une image, à l’âge de treize ans. Portée par un air de ragtime à la mode, l’adolescente esquisse quelques pas de danse, aussitôt réprimés par une violente gifle de son père, Anténor le Sévère. Ce traumatisme originel est le cœur du très beau roman de Yanick Lahens, raconté à la première personne par la petite fille devenue une vieille femme. Comme dans Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, de Harper Lee, ce procédé permet d’allier la naïveté du regard enfantin à la sagesse lucide de l’adulte qui se souvient. Élevée dans un carcan petit-bourgeois, condamnée au silence par sa condition de femme, Alice prend très tôt conscience des profondes inégalités (sociales et sexuelles) qui fondent la société haïtienne, aidée par Man Bo, la vieille servante illettrée, gardienne des philtres et des secrets féminins, et son oncle Héraclès, jeune révolutionnaire.

Dans une langue charnelle et violente, Yanick Lahens dessine en parallèle un corps et une île en pleine ébullition. Alors que les Haïtiens sont massacrés en République dominicaine (1937), tandis que les militaires jouent un rôle croissant dans le pays, Alice mène sa bataille intime contre un père, qu’elle défie comme un animal sauvage. « Cyclone sur deux pieds », elle trouve dans la danse une voie de fuite, l’issue de sa libération. Teintées de créole, les pages décrivant une danse proche de la transe sont les plus belles du livre. La période choisie par Yanick Lahens correspond à une parenthèse, entre le départ des Américains (1934), après dix-neuf ans d’occupation, et la terrible dictature. La jeune danseuse s’émancipe sur fond de bouillonnement intellectuel et artistique, admire des figures majeures comme le peintre Wifredo Lam, les écrivains René Depestre et Jacques Stephen Alexis. « Qu’est-ce qu’un acrobate de Dieu ? » a écrit la chorégraphe Martha Graham, citée par l’auteure, « il me semble que c’est quelqu’un – pas forcément un danseur – qui vit pleinement et complètement. Qui assume le risque de tomber ». Alice Bienaimé est de ceux-là.

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Résumé :
L’histoire suit la destinée d’Alice Bienaimé, qui grandit dans les années quarante dans une famille de la grande bourgeoisie d’Haïti. Une atmosphère séduisante et chaleureuse nimbe au début les personnages. Mais très vite, l’Histoire, ses rumeurs, ses petitesses et sa fureur, les rattrapent. Alice parvient à supporter les contraintes de son éducation de jeune fille de bonne famille parce que son oncle et sa tante lui apprennent la culture populaire. Et puis surviennent les péripéties des journées révolutionnaires de 1945-1946 qui changeront à jamais sa vision du monde. Heureusement, Alice danse et ce n’est pas anodin. Pratiquer la danse en Haïti tient de la lutte de classe.

SW POCHE
Disponible en librairie au prix de 9 €, 200 p.
ISBN: 978-2-84805-187-1

Date de parution : Mai 2015
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