Comment Ron Mueck donne vie à la sculpture

Un autoportrait de l’artiste, « Mask II », 2001. Matériaux divers.

A ce jour, Ron Mueck n’a réalisé, au total, que 38 sculptures. C’est peu. Et pourtant, l’artiste crée l’événement partout où il expose. Son dernier accrochage en date, au Museo de Arte Contemporaneo de Monterrey, au Mexique, en 2011, a attiré plus de 416 000 visiteurs ! Jusqu’au 29 septembre, c’est à la Fondation Cartier, à Paris, qu’il est invité. Au programme, seulement neuf œuvres, mais jamais vues en France (trois ont été créées spécialement pour l’expo) et qui atteignent parfois des tailles colossales.

Né à Melbourne, en Australie, en 1958, Ron Mueck est un sculpteur plutôt atypique. Autodidacte, il n’a pas fait d’école d’art, mais a d’abord travaillé comme décorateur de vitrine, et a perfectionné sa technique en créant des poupées pour la publicité, le cinéma ou la télé (notamment au « Muppet Show »). C’est le réalisme troublant de ses mannequins qui amène le monde de l’art contemporain à s’intéresser à lui. Son perfectionnisme en fait aujourd’hui l’un des porte-drapeaux du courant « hyperréaliste », avec l’Américain Duane Hanson, mort en 1996, et le Britannique Jamie Salmon. Mais comment Ron Mueck réussit-il à créer ces copies presque conformes d’êtres humains ? Et pourquoi ses sculptures fascinent-elles autant ?
Prendre son temps

Ron Mueck travaille dans un petit atelier du nord de Londres, en compagnie de deux assistantes. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le processus est plutôt lent ! Le sculpteur puise son inspiration dans des livres d’art, mais également dans des magazines, ou s’appuie sur une personne qu’il a remarquée dans la rue (il photographie parfois les passants). Suit un croquis au crayon ou au stylo-bille pour préciser son idée, l’attitude de son personnage. Puis le sculpteur fabrique une petite maquette de quelques centimètres de haut en cire ou en argile. Cette étape lui permet d’affiner la pose et de vérifier la stabilité. Il crée ensuite sa sculpture à l’échelle, en argile, comme vous pouvez le voir dans cet extrait d’un documentaire réalisé par le photographe Gautier Deblonde, qui suit Ron Mueck depuis plusieurs années.

La silhouette en argile est modelée très minutieusement : l’artiste reproduit fidèlement les rides, les plis du corps, la surface de l’épiderme… C’est cette base qui va servir pour créer un moule dans lequel il coule de la résine ou de la plasticine, des matériaux plus durs que l’argile, qu’il va pouvoir continuer à travailler. Mais une fois cette base terminée, il reste encore de longs mois de fabrication.

Comme on le voit ici, Ron Mueck doit encore maquiller son personnage, ajouter des globes oculaires dont les iris seront peints, parfois sculpter des chaussures (en reproduisant l’effet du cuir patiné), fabriquer des vêtements (T-shirt, pantalon) et des bijoux (des montres, par exemple) à l’échelle… L’artiste est suffisamment perfectionniste pour modeler des parties du corps pourtant dissimulées par les vêtements ! Pourquoi chercher une telle ressemblance avec des modèles vivants ? La réponse est immédiate quand on se trouve face aux œuvres : le réalisme est tel que nous éprouvons de l’empathie pour ces alter ego de résine.
Magnifier le banal

Femme couchée dans son lit, vieilles dames discutant, chauve bedonnant boudant dans un coin… Les personnages et les attitudes reproduites par Ron Mueck sont très banales. Mais ils ne sont jamais représentés à taille réelle. Sa dormeuse est gargantuesque, ses vieilles, lilliputiennes, et son chauve est haut de deux mètres en position assise. Le premier effet de ce jeu d’échelle est d’attirer notre attention sur des figures qui pourraient passer pour parfaitement banales. Souvent, aussi, ses œuvres jouent sur des paradoxes : plus la sculpture est grande, plus elle exprime la fragilité ; plus elle est petite, plus elle exprime la force.

C’est le cas avec cette minuscule femme nue, qui ploie sous son fardeau… une « mère courage » menue qui semble pourtant nous dominer. Tout tient au dynamisme de la posture, à l’éclair de vie dans ses yeux, son sourire qui semble nous défier. Remarquez que son anatomie n’est pas celle d’un mannequin de magazine, il s’agit d’un corps « vrai », aux chairs un peu trop blanches et qui boudine dans le dos. Ron Mueck n’idéalise jamais ses modèles, ce qui en fait, aussi, nos semblables. On est loin, très loin de la sculpture classique, géométrique, équilibrée, qui cherche à incarner un idéal de beauté.

De même, ses corps de vieillards accusent le poids de l’âge, comme on peut le voir sur ce buste (la sculpture finale, Old couple, un couple de vieillards allongé sous un parasol, est présentée pour la première fois à la Fondation Cartier). Ron Mueck sculpte tous les âges de la vie, du vieillard cerné de rides au nouveau-né tout juste sorti du ventre de sa mère. Au final, on est moins touché par la performance illusionniste que par l’émotion à échelle humaine qu’exprime l’artiste.

Aussi réalistes que soient ses œuvres, Ron Mueck tente surtout d’exprimer une sensation. Quand il réalise Dead Dad, une sculpture de 1m10 qui reprend les traits de son père, on a le sentiment que le défunt est déjà loin de nous, qu’il quitte le monde des vivants.
Savoir créer le mystère

Ce que nous montre Ron Mueck, ce sont des instants figés, des histoires sans début, ni fin, des « films à image unique », comme l’écrit le critique américain Robert Storr. Et si le sculpteur ne donne jamais d’explication sur ce qu’il crée… cela ne signifie pas que son art n’en a pas.

Face contre terre, ce « masque » est-il celui d’un vivant qui se repose ou d’un mort dont l’âge est trahi par les quelques cheveux blancs au niveau des tempes ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que ce visage hors normes (il mesure plus d’un mètre de long) est en fait un autoportrait faussement orgueilleux de l’artiste. Il y a un peu de vanité à se représenter aussi démesurément grand, d’autant que Ron Mueck a expliqué s’être inspiré des statues de l’île de Pâques… qui étaient sans doute des objets de culte. Mais il y a surtout beaucoup d’ironie à se montrer dans une posture franchement peu flatteuse, toutes rides dehors.

Et que dire de ce baigneur qu’il faut imaginer accroché au mur ? On peut y voir un vacancier se balançant mollement sur l’eau… ou une allusion irrévérencieuse au Christ, bras écartés. Au spectateur de se faire sa propre opinion.

Informations pratiques

Ron Mueck, du 16 avril au 29 septembre
Fondation Cartier
261, boulevard Raspail, Paris 14e
Métro Raspail ou Denfert-Rochereau

Tous les jours de 11 heures à 20 heures (sauf lundi) et de 11 heures à 22 heures le mardi.
Tarifs :9,50 euros (plein tarif),  6,50 euros (tarif réduit).

Léo Pajon

Mis à jour le 18/04/2013 | 18:46 , publié le 18/04/2013 | 18:46

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