Colloque « L’esclavage : quel impact sur la psychologie des populations? » Un vif succès.

— Par Roland Sabra —

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Aimé Charles-Nicolas, Président de l’Association First Caraïbes, organisatrice du colloque « L’esclavage : quel impact sur la psychologie des populations »

Un colloque d’une grande richesse tel à été celui consacré à l’impact psychologique de l’esclavage organisé à Fort-de(France les 26 & 27 octobre 2016. Toutes les interventions étaient de qualité. Une des toutes premières fût celle de Patrick Chamoiseau qui s’ingénia à prendre à contre-pied ce que l’on entend habituellement par trauma pour s’en faire le chantre. Le trauma est lié intimement à la vie qui elle- même commence par celui de la naissance. Il s’est ensuite attaché à montré chez Césaire et Glissant un au-delà de l’événement. La prestation était brillante et (trop ?) longue comme à l’accoutumée. Même abrégée par la force du président de séance elle eut pour conséquence de supprimer une pause et de décaler l’ensemble du colloque.

Si toutes les communications faites lors de la première journée du colloque étaient de qualité l’une d’entre elles a émergé du lot par son contenu résolument novateur. Ariane Giacobino, généticienne s’est appliquée à expliquer comment un traumatisme psychique s’inscrit sur l’ADN et comment cette inscription se transmettait de façon épigénétique. Le patrimoine génétique n’est pas modifié mais l’expression du gène est soit stimulée soit inhibée. L’épigénome est donc sensible à l’âge, à l’environnement et donc aux traumas. Les travaux d’Ariane Giacobino montrent que les modifications épigénétiques se transmettent sur trois générations, tant du côté des descendants des esclaves que du coté des fils et filles d’esclavagistes. Les modifications de l’épigénome sont réversibles,  reste à penser les articulations possibles avc la notion de résilience.

Frantz Fanon déjà dans « Les Damnés de la terre » relevait que « La violence du régime colonial et la contre-violence du colonisé s’équilibrent et se répondent dans une homogénéité réciproque extraordinaire […]Le travail du colon est de rendre impossibles jusqu’aux rêves de liberté du colonisé. Le travail du colonisé est d’imaginer toutes les combinaisons éventuelles pour anéantir le colon. Sur le plan du raisonnement, le manichéisme du colon produit un manichéisme du colonisé. À la théorie de « l’indigène mal absolu », répond la théorie du « colon mal absolu ». Cette symétrie, bien sûr, n’est pas une équivalence ! Elle s’inscrit dans un ensemble de relations de pouvoir qui génèrent des dominants et des dominés. Ce sont les effets de la traite et de l’esclavage sur les afro-descendants dont il est question. Le libellé du colloque précise qu’il s’agit d’impact et non pas de simples conséquences. Il y a dans le terme d’impact la notion de choc et de brutalité qui évoque en partie, mais en partie seulement seulement ce que fût la déportation la traite et l’esclavage. Ces impacts ont été listés à travers des mises en rapport de ce qu’a été l’esclavage puis son abolition dans la Caraïbe anglophone, hispanophone, francophone, aux États-Unis, au Brésil, en Colombie. Des intervenants étasuniens ont insisté sur les conditions différentes dans lesquelles ont été réalisées les abolitions dans les colonies françaises et dans leur pays avec toujours ce risque de verser dans un étalonnage de ce qui en résulte, aujourd’hui encore, sous la forme de racisme. Une universitaire antillaise interviendra de la salle pour souligner que les différences symboliques, comme l’accession à la citoyenneté du coté français ne doivent pas occulter les conditions réelles dans lesquelles elles ont été mises en œuvre. Pour autant force est de constater que la reconnaissance de l’existence d’un marronnage dans les pays sud-américains fin du XXè siècle est bien tardive.

Partout une stratégie d’oubli à été mise en ouvre tant du coté des anciens esclaves que des anciens esclavagistes et de leurs descendants respectifs. Plus que d’oubli il semble qu’il s’agisse de refoulement avec ce retour du refoulé sous la forme soit d’une tentative de relativiser le commerce triangulaire en le dissolvant dans une mondialisation en construction ou, dans une histoire générale de l’esclavage qui remonte au néolithique, ou bien alors d’en faire la cause explicative ultime, l’alpha et l’oméga d’une victimisation réifiée. L’élaboration des théories raciales, au XIXè siècle participa grandement à la construction et au maintien de ce refoulement. Il a été souligné que l’invention de terme de « Blancs » pour désigner les européens a été tardive et qu’elle participe d’une tentative de déculpabilisation aux accents scientistes.

Si fût évoquée la prévalence des addictions, de la violence, de la honte des sentiments d’infériorité, Gilbert Pago rappellera que les luttes d’émancipation ont traversé de bout en bout le système esclavagiste. Il mettra en évidence le rôle particulier des femmes et l’importance des chants, des danses, de la musique, des arts en général comme façon d’affirmer une identité face à la déshumanisation esclavagiste.

L’arrachement en terre d’Afrique et les tentatives de conserver et le lien originaire et le désir de reconstruction identitaire autour des pratiques animistes ont permis au public d’éclairer des us et des coutumes dont il connaissait le comment toujours en vigueur tout en ayant oublier le pourquoi.

Avant de terminer juste un mot sur une communication à propos de Rachel Dolezal, une activiste antiraciste, étasunienne, blanche, qui est connue pour son imposture à vouloir se faire passer pour une Noire et que les parents ont dénoncé récemment. Présidente de la section de Spokane (Washington, États-Unis) de la NAACP – National Association for the Advancement of Colored People, professeure d’études africaines à l’université d’Eastern Washington elle a enseigné des cours sur l’histoire de l’art africain et afro-américain, l’histoire africaine, la culture afro-américaine et les luttes des femmes noires. Le rôle des femmes noires dans la culture visuelle fait partie de ses spécialités. Au-delà de ces actions somme toute honorables il y a ces mensonges, ces affabulations qui, il faut bien le dire, aux yeux de beaucoup, la discrédite. Le cas est intéressant car on voit bien que le lieu d’énonciation, le fameux « lieu d’où l’on parle » l’emporte sur les énoncés. Ce n’est plus ce qu’elle dit qui prime mais ce qu’elle est ou ce qu’elle serait. L’intervenant, un médecin à d’ailleurs terminer sur la question du diagnostic, aussitôt reprise par un psychiatre dans la salle qui voulait savoir à quelle page de son DSM-5 il fallait se référer ! Où la caser ? Dans tous les sens du terme ? Si dans la salle une intervention rappela la labilité des identités, leurs mutations possibles elle souligna aussi que cette revendication identitaire était le fait d’une blanche qui se réclamait noire avec toujours cette possibilité de redevenir blanche et qu’il n’y avait pas réciprocité. Le parcours en question relevait d’une dynamique hiérarchisée et qu’elle était orientée du haut de l’échelle sociale vers le bas. La remarque était juste mais n’épuisait pas l’ensemble du questionnement qui avait le mérite (?) de renvoyer tout un chacun à ses assignations identitaires ataviques.

Pour conclure, le colloque a été un véritable succès, passionnant et passionné. L’auditoire à été vivement intéressé et aurait voulu à coup sûr participer davantage. Les nombreuses discussions dans la salle au moment des pauses, au déjeuner, en fin de journées l’attestent. Il y a là une demande…

Le 27-10-2016

R.S.