« Choisir de vivre » de Mathide Daudet, dans une m.e.s. de Frank Berthier

Un cri déchirant et bouleversant

— Par Roland Sabra —

« Demain… je… serai une femme. Dans 10 heures 48 minutes et 35 secondes je serai celle que j’ai toujours voulu être. » Dans un hôpital de Bangkok elle attend une opération qui sera une ré-assignation sexuelle. Ainsi commence l’adaptation théâtrale de « Choisir de vivre » réalisée par Mathilde Daudet et Franck Berthier. Le livre dont est issue la pièce porte le même titre. Publié en 2016 il a connu un vrai succès de librairie. Mathilde n’a pas toujours été Mathilde. Elle a été Jean-Pierre Daudet, arrière-petit-fils d’Alphonse, l’auteur des Lettres de mon moulin, fils de Léon, militant de l’Action française et elle a vécu 50 ans dans un corps qui ne correspondait pas à ce qu’elle était. On lira dans Libération le superbe article de Catherine Mallaval consacrée à la biographie romancée de Mathilde Daudet dont le titre est un joli clin d’œil à Jacques Brel : Mathilde est devenue. Il ne manque que la musique.

Il a cinq ans, sur un fil à linge, flotte une combinaison en soi beige. Il la dérobe, monte en cachette dans sa chambre, se déshabille nu, enfile l’objet détourné et se mue en princesse dans une jouissance, c’est-à-dire un plaisir au-delà ou en en deçà des mots. Dès lors il prend conscience qu’il habite un corps qui n’est pas le sien. Deux êtres, frère et sœur, l’habitent. Ils prendront forme vers 10-12 ans sous les identités secrètes, cachées de Thierry et Mathilde, Mathilde et Thierry, dans une confrontation, un combat infini, un dialogue d’amour et de haine. Pendant plus d’un demi siècle Thierry aura le dessus avant de disparaître, mort à Bangkok. Mathilde en fera le deuil. Avant cette délivrance, reporter de guerre surnommé « Rambo » par ses confrères, motard tutoyant la mort il surjouera sur le registre de la masculinité, à la limite du virilisme cette pathologie du genre. Attitude dont il n’est pas dupe, puisque qu’il emporte toujours avec lui un talisman caché dans un sac de plastique au fond de ses bagages : un vêtement de femme.

Sur la scène dépouillée, un panneau, support d’un jeu d’ombres et de lumières pour faire valoir un corps crucifié ne ne pas être ce qu’il est. Sur le sol un monceau de sacs de plastique blanc, envahissant, trop envahissant. Et sur le plateau une comédienne en combinaison-chemise de nuit, Nathalie Mann, portant en elle et sur elle son signifiant. Le redoublement de la dernière consonne le souligne inutilement. Une belle femme à la voix grave, un peu rauque, le visage émacié, des épaules carrées, du muscle sur les bras. Un peu androgyne mais pas trop, juste ce qu’il faut pour suggérer l’ambiguïté et dont elle va jouer avec talent. Mais c’est de sa « voix si particulière dans laquelle résonne rage, colère et douceur » dixit Franck Berthier, qu’elle va faire vivre sous nos yeux Thierry/Mathilde Daudet. Nathalie Mann fait corps avec le texte, elle en épouse les moindres variations, elle en magnifie les envolées, elle en module les apartés. Elle ne porte pas le texte dans sa tête. Elle le porte en gésine. Il est en son ventre. Et elle nous le fait savoir. Mieux elle nous le fait entendre. Bouleversante de bout en bout elle jette en pâture au public, submergé, ses doutes, ses certitudes, sa violence, sa tendresse. Elle le prend par la main, lui fait quitter les sombres rivages d’un catholicisme aux couleurs d’intégrisme et le mène au travers d’un passage par la « théophobie » vers les plages d’un athéisme apaisé.

Un beau travail de lumières avec quelques projections de vidéos aménagent des espaces de respiration qui permettent de souffler et de reprendre pied.

Un peu abasourdi le public, sorti de son saisissement a délivré son approbation et son contentement par de longs et chaleureux applaudissements. Une part de ceux-ci doivent revenir à Michèle Césaire pour ce cadeau qu’elle a fait au public de l’ïle.

Fort-de-France, le 24/03/2019

R.S.