Bobo 1er, ni roi ni reine, mais il porte la couronne

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Photos Philippe Bourgade — Droits réservés

— Par Roland Sabra —

Il est arrivé le premier sur la scène. Les autres, il les attend et il les attendra longtemps. Ils ne viendront pas. Alors il soliloque. Il parle de Pauline, de sa Pauline. Il lui parle et elle lui parle. Pauline ? « C’est son Amérique à lui, même qu’il est trop bien pour elle » Lui ? Il s’écrit en majuscules de noblesse. Bobo 1er, roi de personne. Bobo dans l’entre deux des langues qui le traversent qu’il habite, qu’il unit et démarie entre « l’observancement » du monde et « l’emmerdation » qui en résulte. Et il explique : «  Si kréyol exerce sa vie rien qu’à montrer qu’il n’est pas français, c’est pas une vie. C’est en vérité français qui lui dicte une telle conduite. Même-pareil si français ne sert qu’à touffer kréyol… C’est pas un métier pour une langue d’emmerder les autres langues… Je suis venu au monde en trouvant autour de moi des mots rangés à ma disposition dans deux sacs séparés et plein de poussières de mots entre eux… Eh bien je me les ramasse tous pour en faire ma cuisine à moi. J’en prends plus dans l’un ou dans l’autre , selon les situations, ou bien je fais un panaché, selon la faim du moment. »

Cette profession de foi Bobo 1er y sera fidèle de de bout en bout. Bobo 1er est un amoureux des mots même s’il y a quelque chose « d’incomprenable » entre les mots et lui, c’est [son ] plaisir et en même temps [sa] souffrance. Bobo 1er est un rhéteur à l’éloquence inventive, déclamatoire, qui joue de sa faconde, de son insolence. D’Ibo Simon il remémore le goût pour la provocation et la flatterie, de péyi Gwadloup il construit un portrait idéalisé d’une Pauline douce et aimante mais libre surtout et qui bientôt s’évanouira dans un temps qui n’est plus. «  Elle ne me méritait pas… Trop haut niveau pour elle. Parce que je regarde les plus hauts sommets de montagnes qui n’existent pas. »

Comment mieux dire le décalage entre les aspirations de Bobo 1er pour son peuple et le pays réel. Alors Bobo 1er sera le roi de personne. Pour Pauline-Péyi Gwadloup plus de discours, plus de déclaration, mais des Short Message Service . Des SMS ou des textos ( prononcés texos!) «  En ce soir de soie, vient choir mon amitié dans ton mouchoir. Ça va soi !.. »

Ainsi va Bobo 1er parlant, déclamant, ratiocinant à l’infini du verbe à mésyézédam, à sa Manman, aux beloteurs de buvette, aux musiciens qui ne viendront pas, au technicien caché dans la console, et à Pauline, toujours Pauline comme une errance sans fin dans l’immensité de la langue.

Pour dire cette déraison raisonnée, Patrick Womba jongle avec la phrase, endosse les habits imaginaires des personnages qu’il invente, fait vivre et fait disparaître au détour d’un jeté de mots balancés comme une pluie d’étoiles. Et il danse, et il chante et il tambourine, il se plie, il se dresse, se ploie et se presse. La voix se fait pinson, se fait rocaille, se lève comme un soleil au petit matin du jour, se fait crépusculaire en désillusions tombées au champ des combats perdus faute d’avoir été menés. Il occupe l’espace, crie à la cantonade sans espoir d’être entendu, bute quelques fois sur un texte difficile, se heurte à la frontalité d’une salle à l’italienne qui invite à l’adresse au public plus qu’à la complicité, s’adapte au dispositif qu’il semble redécouvrir, tente de le retourner à son avantage et toujours nous embarque vers l’océan de son désir de partage. « Feignant par exprès, aucun sou mis de côté, amoureux des mots, amoureux tout-bonnement du genre humain. »

La scénographie mise en place au Tropiques-Atrium est identique, de même que les costumes et l’ensemble du dispositif scénique à ce que l’on a pu voir l’an dernier à la Farique au festival d’Avignon. La richesse des couleurs convoquées sur scène se veut une illustration de celle du verbe de Frantz Succab. Et c’est  plutôt une réussite.

Fort-de-France, le 23-03-2016

R.S.

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Bobo 1er roi de personne

Distribution
Mise en scène Guillaume CLAYSSEN
Interprétation Patrick WOMBA
Musique et/ou chant de Frantz SUCCAB/Patrick WOMBA
interprétée par Patrick Womba
Conception scénographique Marielle PLAISIR
Conception costume Patrick CASSIN (Cassking)
Conception lumières Jacky MARCEL
Régie Jacky MARCEL
Production L’ARTCHIPEL scène nationale de Guadeloupe dans le cadre de son projet Mythologies actuelles de Guadeloupe/14•15 Mythologies politiques.
Coproduction la Comédie de l’Est et Etc caraïbe.
Soutien Ministère de la culture et de la communication – Direction des affaires culturelles de Martinique.

 

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Photos Philippe Bourgade — Droits réservés