Avignon 2019. « Qui va garder les enfants ? », de Nicolas Bonneau et Fanny Chériaux, m.e.s. Gaëlle Héraut

— Par Michèle Bigot —
Qui va garder les enfants? Telle est la question que posa Laurent Fabius à l’annonce de la candidature De Ségolène Royal aux primaires du parti socialiste. La formule est restée célèbre comme emblème de l’hostilité des hommes politiques à l’égard des femmes. Si la méfiance voire la misogynie sont l’ordinaire de la vie quotidienne, il semble que les hommes politiques tiennent le pompon, comme en témoigne l’abondance de remarques sexistes qu’entendent les femmes députées à l’Assemblée nationale. De quelque côté qu’on se retourne, le machisme a de beaux jours devant lui en France !
C’est pourtant un homme qui monte et interprète ce spectacle, même s’il en partage la création avec Fanny Chériaux. Il le joue devant un public où on comptait quand même six hommes pour cinquante femmes ! On n’est pas sorti d’affaire !
Il s’agit donc d’une satire féroce de la misogynie dans le monde politique, d’un texte ironique et mordant. Dans sa forme, il se présente comme un patchwork de récit (en partie autobiographique), d’interviews de femmes politiques, de témoignages. Nicolas Bonneau pratique depuis longtemps un théâtre documentaire, reposant sur des enquêtes de terrain assorties d’une réécriture. Pour cette pièce, il a suivi des femmes politiques de tout bord dans leur quotidien depuis deux ans, et nous présente une synthèse de cette enquête où s’entrecroisent la narration, la réflexion personnelle et les tableaux satiriques. Sur le plateau défilent une suite de portraits de femmes politiques menés sur un ton caustique et bienveillant. L’originalité de l’entreprise, c’est qu’elle tient autant de la confession que du documentaire. C’est à partir de sa propre expérience que Nicolas Bonneau interroge avec humour la domination masculine, la débusquant dans ses recoins les plus secrets. Cela donne une suite d’anecdotes, de formules, d’observations qui, cousues ensemble tissent un texte jubilatoire. Pris sur le vif, le quotidien de Virginie, maire de Saint-Amand, le salon d’Yvette Rudy, les répliques finaudes d’Angela Merkel, les aboiements de Margaret Thatcher, le combat émancipateur de Christiane Taubira ! Tout cela est savoureux, avec un accent de vérité qui confère une force persuasive au spectacle.
Au total un spectacle réussi, à l’humour corrosif, drôle et pourtant grave, fondé sur un travail d’enquête des plus minutieux. Quel dommage que les hommes fuient ce genre de spectacle !
Michèle Bigot