Aux assises des réfugiés de l’Aquarius

— Par Roland Tell —

Que reste-t-il de la communauté de solidarité européenne ? L’élection des populistes en Italie a-t-elle entraîné la fin de la contrainte d’unité à l’endroit des migrants ? Dans ce processus de transformation politique, la solidarité signifie-t-elle désormais « ne plus être ensemble »? Chaque port européen de la Méditerranée devient-il désormais une frontière ? L’évolution politique en Italie a-t-elle engendré des sentiments de rejet, d’exclusion, de xénophobie, à l’encontre de tous migrants, et particulièrement des naufragés de l’Aquarius ?
Autant de questions à propos de ce retournement politique, face auquel le monde entier reste constamment en alerte, depuis que la voix de l’Espagne s’est faite entendre, pour, au contraire, essayer d’entrer dans la souffrance des 629 réfugiés de l’Aquarius ! Ce moment décisif en politique européenne a mis à jour la banalité du mal, pénétrant l’Union Européenne – celui des enfants, des femmes, des hommes, en fuite depuis l’Afrique, leur anéantissement par la guerre, par la persécution politique, par la famine, par la misère, telles qu’elles existent en Afrique. Les réfugiés de l’Aquarius cherchent essentiellement sécurité, nourriture, abri. Ils ont franchi les frontières de leurs pays, vécu presque l’enfer du côté de la Lybie, par la dégradation, la déshumanisation, en étant victimes de la cupidité des passeurs, des ambitions d’esclavagistes modernes, pour n’en mentionner que ceux-là, sans compter tous les désastres et les peurs de leur errance en Mer Méditerranée, les médiocres conditions de la traversée, pour tout simplement se nourrir de la forte espérance d’un asile en Europe. Sur l’Aquarius déjà, femmes et enfants en majorité commencent à donner valeur à leur vie nouvelle, en dépit des mauvaises mesures politiques, des refus, des conflits de pouvoir, d’un port à l’autre des pays européens concernés. C’est comme un grand jeu de chaise musicale, sauf qu’au lieu de musique, nos réfugiés ont des explosions de colère du côté de Malte et de l’Italie, et des rebuffades partout ailleurs.
Ces 629 Africains de l’Aquarius, qu’on laisse errer de port en port, au début sans les moyens de première urgence, tels la nourriture, les médicaments, les vêtements, comme les ont montrés les médias occidentaux, aux alentours de Malte – femmes pitoyables, corps amaigris d’enfants, en dépit des prouesses d’hébergement et d’assistance, accomplies par l’équipage de l’Aquarius, dans les opérations de secours. Comment, chez les 123 enfants et adolescents, pourra-t-on traiter les durables effets psychologiques de cette fuite vers l’Europe ?
Quelle est donc aujourd’hui la règle d’or, le cœur de la morale politique, pour les pays européens ? L’Afrique n’a jamais été dédommagée pour le mal du commerce esclavagiste ! Donc, quelle compensation aujourd’hui ? En plus de chercher à remettre les pays africains à leur juste place dans l’économie et le commerce du monde moderne, de les sortir de leur état de dépendance permanente, de mettre à leur disposition les connaissances, les moyens financiers, les infrastructures technologiques et industrielles, afin de les aider positivement à développer l’Afrique. Et surtout, surtout, pour nos réfugiés de l’Aquarius, le respect de droits moraux, la nécessité de se comporter, à leur égard, en tous ports européens, en toutes villes européennes, en être moraux, non en monstres, comme à Malte et en Italie ! Retenir surtout que le droit d’asile est un droit fondamental, pas une faveur laissée au bon vouloir de l’État qui accueille !
Car enfin, en ce temps de mondialisation, les droits du migrant deviennent droits des citoyens du monde. Car encore, du fait de la transformation culturelle du monde entier, les Etats nationaux comme l’Italie, la France, l’Espagne, l’Allemagne, etc.. restent éternellement d’hier, donc dépassés ! A preuve donc, l’Union Européenne qui, s’agissant de la politique migratoire, doit jouer un rôle capital dans cette évolution. Déjà, une société européenne signifie la dépendance culturelle réciproque. Il y a interpénétration, et continuelle interdépendance intellectuelle, économique, sociologique, et bien sûr politique. Car à côté de chaque frontière, il est important de veiller à l’ouverture, donc de repousser toujours la frontière vers l’extérieur ! Pourquoi ? Enfin pour apprendre à voir, avec un regard neuf, ce qui est étranger : depuis les temps bibliques, telle est la conduite d’existence de l’être humain !
ROLAND TELL