« Anatole dans la tourmente du Morne Siphon » : un théâtre populaire

— Par Roland Sabra —

Sabine Andrivon-Miltonn née à Fort-de-France est une spécialiste de l’histoire militaire de la Martinique, qui a beaucoup fait pour la mémoire des soldats martiniquais tués pendant la Grande Guerre dont les noms ne figuraient pas sur les monuments aux morts des communes de l’île « des revenants ». Soucieuse de pédagogie elle anime une rubrique intitulée « Une île une histoire » sur Martinique 1ère radio, en 2017 elle réalise un jeu des 9 familles « Je découvre la Martinique », puis en 2018 deux autres jeux de société « La Martinique au bout des doigts » et « La Martinique en jeux de société », que l’on peut trouver dans les librairies dignes de ce nom. C’est ce même besoin de faire connaître au plus grand nombre ses découvertes, cette mission de réhabilitation des oubliés de l’histoire, qui lui fait écrire, parallèlement à sa thèse de doctorat intitulée « La Martinique et la Grande Guerre », un roman destiné à son jeune fils rebuté par les œuvres universitaires de la maman,  « Anatole dans la tourmente du Morne Siphon », adapté et mis en scène pour le théâtre par Arielle Bloesch dans le cadre du Festival des Petites Formes. C’est sans doute ce louable souci de l’auteure d’aller vers l’autre qui a valu au Chapiteau de Tropique Atrium installé à Schoelcher d’accueillir, le 19 janvier 2019, lors de la première, un public différent, plus populaire que celui du Théâtre Aimé Césaire ( T.A.C.) ou de la Salle Frantz Fanon.  Et ne serait-ce qu’à ce titre, c’est déjà une réussite.

Sur scène Charly Lérandy, bien connu du public martiniquais par sa performance dans le célèbre Wopso de Marius Gottin , et Néophana Valentine interprètent un fils, sa mère et les différents personnages du « Morne Syphon » leurs histoires multiples et croisées au cœur des années 1910. On y retrouve la logique de l’Habitation, celle du béké et ses amours ancillaires, celle des géniteurs oubliant d’être pères, et qui tout à coup par opportunisme, pour échapper en tant que « chef » de famille nombreuse à l’enrôlement vont reconnaître par demi-douzaines les enfants qu’ils ont semés à droite et à gauche. Sont évoqués sans fausse pudeur toutes les ambiguïtés comportementales de la soldatesque métropolitaine, notamment la hiérarchie, à l’égard de ceux venus des colonies eux-mêmes traversés par des sentiments d’ambivalence à l’égard de la France, la République, le Drapeau, l’identité…

La langue est vive et imagée, le plaisir des mots partagé avec le public qui ne mégote pas son enthousiasme allant jusqu’à commenter la scène ou la réplique. Un théâtre populaire de qualité.

Charly Lérandy, à la crinière blanchie sous le harnais, est tout à fait crédible en gamin d’une dizaine d’année, il a ce regard étonné de celui qui découvre le monde, mais paradoxalement il est moins à l’aise, à la limite de la caricature, en vieillard de plus de 80 balais. Un peu plus raide dans son jeu, Néophana Valentine est chargée sur le plateau d’interpréter, outre la mère d’Anatole, toute une série de personnages venus demander à son fils, devenu une sorte d’écrivain public de rédiger les missives qui seront envoyées aux soldats la-bas loin, sur le front. Quelques représentations supplémentaires devraient assouplir les interprétations.

La scénographie mériterait d’être épurée. Le propos n’ a pas besoin d’accessoires superflus qui encombrent inutilement l’espace scénique. Une chaise, un rideau suffisent. Une table à la rigueur.

Arielle Bloesch, avec son « Anatole dans la tourmente du Morne Siphon », témoigne une fois de plus de son engagement théâtral en Martinique inauguré il y a déjà bien longtemps qu’il s’agisse de la mise en scène ( La Nuit Caribéenne), des ateliers théâtres auprès des lycéens dans le sud de l’ile, de la direction de la Compagnie Les Berliks, de sa participation active à ETCaraibe…

Fort-de-France, le 20/01/2019

R.S.