A travers cinq expositions, la Collection Lambert apporte sa pierre au Festival d’Avignon

— Par Dominique Daeschler —

collection_lambert_avignon-2016

Claude Lévêque, La Nuit, 1984, Portraits peints sur bois découpé, lampes, tipis, projection de lumière / Diffusion sonore, ambiance nocturne / Conception sonore en collaboration avec Hervé Imbault, guitare Stéphane Antoine / Collection FRAC Pays de la Loire / Photo Tomas Soucek © ADAGP Claude Lévêque / Courtesy the artist and kamel mennour, Paris

La prestigieuse collection Lambert, qui pourrait avoir son pendant ici en Martinique avec la Fondation Clément, s’est elle aussi agrandie, croquant l’hôtel de Caumont qui abritait l’école des beaux arts en le jouxtant à l’hôtel de Montfaucon. Elle expose simultanément et jusqu’en novembre, Andres Serrano accompagné de Goya, Amos Gitaï, Christophe Gin, le collectif autour de Thierry Thieû Niang.
Torture – Andres Serrano.
Andres Serrano, newyorkais aux origines afro-cubaine et hondurienne, dans une exposition dénommée Tortures, dans l’esprit de son travail sur le corps, l’éros et le thanatos, son intérêt pour les aliénations sociales et politiques, donne à voir en série des corps photographiés en noir et blanc dans des situations diverses, de torture (en référence aux camps nazis, à la Stasi, à l’Orient et l’axe du Mal, Guantanamo et le Bloody Sunday irlandais). Comme toujours son travail est provocateur (on se souvient du vandalisme de son Piss Christ ici même en 2006). Les corps et les visages torturés sont beaux, rappelant à la fois le chemin de croix du Christ (Serrano est très influencé par son éducation catholique) et, entre autre, car symboliques de sociétés nanties et racistes, les violences américaines du KKK. Dur mais beau, l’humiliation est toujours sublimée par une immense dignité, éclairée par cette force invisible. En parallèle aux photos (reconstitution) une exposition de 33 gravures de Goya sur l’horreur de la guerre. Intelligence du va et vient : depuis les barbares, l’Inquisition, ça continue, alors, au-delà du trait décisif de Goya et de ses oiseaux de malheur, on est d’abord dans une interrogation politique. Oui, Serrano, la chair se ressent au-delà du choc et du malaise. C’est important de dire, c’est rappelé dans l’exposition, que Serrano affirme son appartenance à a /political, collectif d’artistes définissant leur travail dans le champ sociopolitique. Un espace expérimental de 3500m2, The Foundry, situé dans le secteur industriel de la ville de Maubourguet à l’ouest de Toulouse est à la fois atelier, lieu d’exposition de collection et d’archives. Ce lieu, se définissant viscéralement hors du marché de l’Art.
Chronique d’un assassinat annoncé- Amos Gitaï
Photos en fragments, vidéo de l’assassinat, chronologie historique à travers des documentaires et des éléments d’archives, personnages de terre cuite, on est plongé dedans. Cette exposition reprend la thématique de « Rabbin, the last day ». Il était pour une soirée dans la cour du palais des papes mais aussi à deux mètres de vous au TOMA, ce qui est sans nul doute dû à l’esprit « tout monde » de leurs directeurs, où un documentaire de 1982 sur les territoires occupés avant et pendant l’invasion du Liban commentant la difficulté d’une solution actuellement et rappelant l’attaque de son hélico lors de la guerre du kippour par un missile  : indemne et chevalier de la paix à vie…Fi des digressions, ce qui est dit dans une esthétique intelligente de la rencontre des formes, c’est la volonté de continuer à définir et à refléter à travers des prismes artistiques l’impact de l’assassinat politique d’Yitzhak Rabbin en gardant cette question sans réponse : si l’artiste ne peut ignorer que son travail se déroule dans un contexte politique, quelle est la bonne distance du geste artistique ?
La Guyane de Christophe Gin
Prix Carmignac du photojournalisme, Christophe Gin a photographié la Guyane dans sa société multiculturelle, ses zones enclavées avec leurs lois propres, très loin de l’Eldorado supposé des orpailleurs. A la marge. Incompréhensible pour le métropolitain basique. En noir et blanc, avec des hommes et femmes plantés là, comme personnages dans un tableau. Avec la force de l’exister ailleurs.
Au cœur- collectif autour de T Thieû Niang.
L’exposition est construite et ce n’est pas ordinaire, à partir du travail du chorégraphe Thierry Thieû Niang montré dans divers lieux du festival. Eric Mézil, directeur de la Collection Lambert, ému par le travail préparatoire fait avec les enfants, a souhaité rappeler dans une exposition rassembleuse que tout se joue pendant dans l’enfance, qu’elle est naturellement territoire d’art. Carte blanche aux artistes, photographies, mots –néons de claude Lévêque dont on admire aussi »Dansez » et « La nuit ». Comme dans le spectacle, il ya la passion la solitude, la chute la consolation, C’est aussi une performance qui se joue de salle en salle ; Annette Messagier avec Motion /Emotion à fond dans son affectif « objets transitionnels (à quand la fin de l’analyse ?), Roni Horn et ses bonbons dorés. Rêves et fantasmes d’adultes ne sont pas l’enfance. Un vent d frais avec les portraits des enfants et leurs pensées nous font du bien !
Coup de tête – Adel Abdessemed.
Juste un petit bonjour, puisque sculpture de 4,50 installée dans la cour, on ne peut pas éviter « ce coup de boule ». C’est imposant, lourd et me rappelle, comme les autres sculptures à l’intérieur, les sculptures de l’Allemagne de l’Est !
Coup de chapeau à la Collection Lambert pour tenir une ligne directrice ténue qui, à travers les violences de notre temps, pose le problème de l’engagement de l’artiste et de sa nécessité, affirmant l’universalité de l’art et nous obligeant à dépasser (voir plus haut) nos jugements de petite personne.