À la Fondation Clément : « AFRIQUES, artistes d’hier et d’aujourd’hui »

— Par Janine Bailly —

Les expositions organisées par la Fondation Clément, dans le cadre de l’habitation éponyme, offrent pour la Martinique un réel intérêt, qu’elles nous plongent au sein de l’univers caribéen, ou qu’elles nous apportent des nouvelles de l’au-delà des mers. La dernière en date, conçue en collaboration avec la Fondation Dapper, sera visible jusqu’au 6 mai 2018. Intitulée AFRIQUES, artistes d’hier et d’aujourd’hui, cette présentation des Arts anciens et de l’Art contemporain, qui occupe de belle et judicieuse façon toutes les salles du musée, du masque le plus traditionnel à la toile la plus novatrice, ne déroge pas à la règle. Et le catalogue de l’exposition, qui a pour préface un texte de Patrick Chamoiseau, Rencontres avec l’Afrique – De l’Absolu à la Trace, est aussi un superbe ouvrage, qui combine reproductions de qualité et analyses pertinentes.

Dans ses pages culturelles, la revue Télérama consacre à cet événement un article dont je donne l’introduction, empruntée à Suzanne Césaire dans la revue Tropiques : « L’Afrique ne signifie pas seulement pour nous élargissement vers l’ailleurs, mais aussi approfondissement de nous-mêmes », et la conclusion de la journaliste Yasmine Youssi : « Dans cette terre de France antillaise, si éloignée du Ministère de la Culture, où l’art semble être le cadet des soucis des représentants de la République tant est criante l’absence d’un musée (public) digne de ce nom, l’exposition (gratuite) de la Fondation (privée) Clément est magnifique. Nécessaire. » Par une heureuse coïncidence, le quotidien France-Antilles nous dit aujourd’hui que la Communauté Territoriale Martiniquaise a convié le muséologue Michel Côté “pour une mission d’expertise et de conseil sur les musées et les arts contemporains”. Et ce dernier d’affirmer : « Il y a un vrai potentiel qui ne demande qu’à émerger avec des équipes tout à fait compétentes, prêtes à partir pour la grande aventure… ».

Mais l’intérêt est multiple dans ce que propose la Fondation puisque ateliers, conférences et visites commentées viennent aider à la découverte et compréhension de ce qui pourrait nous rester hermétique. Ce dimanche, la table ronde animée par la critique d’art Françoise Monnin, fraîchement débarquée de l’avion, posait la question de la mémoire dans la création : l’œuvre d’art est-elle archive de cette mémoire ? Et comment les artistes interrogent-ils l’histoire ? Cinq d’entre eux étaient présents, chacun parlant de son approche et de ses pratiques singulières, chacun dépositaire d’un passé différent, lié à son pays, à son histoire, Madagascar, Sénégal, Soudan, Guadeloupe et Martinique. Outre “Mémoire et Archive”, les maîtres-mots du débat furent “Intimité, Regard, Identité”. Je ne donnerai ici que quelques pistes sur ce qui fut généreusement confié à un public venu en grand nombre :  le débat, riche et foisonnant, d’une durée de deux heures, serait impossible à retranscrire en si peu de lignes.

Des questions se sont fait jour : la mémoire, matière première de la création, est-elle ou non sélective, déformante ou non, collective ou individuelle ? L’artiste doit-il faire un tri, tout garder, laisser se faire un tri inconscient, laisser le spectateur faire son propre tri puisqu’aussi bien, pour citer Marcel Duchamp, “c’est le regardeur qui fait l’œuvre” ? Doit-il travailler sur ses archives personnelles et/ou sur les archives communes ? Des réponses ont été proposées : s’appuyer sur le passé est essentiel ; on ne peut échapper à la mémoire, malgré les sirènes et les mirages de la mondialisation. Il faut faire en sorte que l’héritage du passé puisse côtoyer le monde d’aujourd’hui, industriel et capitaliste. Trouver, en ce qui concerne “le projet africain” par exemple, des repères fédérateurs. Passer par l’individu, l’être en son existence véritable, pour atteindre la mémoire collective. Assumer un passé commun pour créer un futur commun.

Mais aussi, dira l’un, il nous faut « inventer une narration qui dépasse les refuges identitaires vers lesquels on nous pousse ». « Moi — dira l’autre — mes racines poussent partout, dans mes images… ». Et puisque tous les arts se rejoignent, suivons aussi « Césaire, Senghor, Maryse Condé, qui sont le fil pour aller au passé de l’humanité ».

Janine Bailly, Fort-de-France, le 26 février 2018