À Avignon, le festival Off au bord du burn out

— Par Nedjma Van Egmond —
Avec sa croissance exponentielle (1.592 spectacles), le festival Off d’Avignon, longtemps synonyme de liberté, craint la saturation. L’association qui le chapeaute et des collectifs de compagnies s’activent pour inverser la tendance.

Affiches de spectacles par milliers des pavés jusqu’aux toits, sur les lampadaires et les murs des immeubles. Représentations du matin à la nuit. Pour quelques vrais théâtres, de nombreuses salles éphémères qui poussent comme des champignons au joli mois de juillet avant de se rendormir l’hiver. Ici, une cour d’école ou une classe aménagées, là un garage ou une église. Sur les planches, théâtre classique et contemporain, cirque, danse ou humour plus ou moins fou. Les mots de Shakespeare voisinent avec ceux de Tchekhov, les vannes de Mathieu Madénian avec la prose des frères Grimm. Ainsi va le festival Off d’Avignon, qui, depuis 50 ans, rime avec création, folle émulation… et bientôt saturation.

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En marge du festival officiel créé en 1947 par Jean Vilar, le Off naît dans l’euphorie libertaire pré-mai 68. Le poète et metteur en scène André Benedetto monte Statues comme un défi à l’institution en 1966, puis Napalm en 1967, vite rejoint par d’autres. Ce festival parallèle emprunte son nom à Broadway et s’organise dès 1982, avec l’édition d’un programme. Depuis le Off a grandi, grandi. 500 spectacles en 1998. 1592 aujourd’hui ! On peut se réjouir de cette croissance et de ce foisonnement sans limites. Mais aussi les redouter.

« Il y a trop de spectacles, mais pas assez de spectateurs. »

Pierre Beffeyte dirige l’association Avignon Festival et compagnies. Son constat est sans appel : « Le problème, ce n’est pas qu’il y a trop de spectacles, mais pas assez de spectateurs. On vend 1 million de places chaque année mais il reste plus du double de fauteuils vides ! Le Off étouffe, il faut lui redonner de l’oxygène ». Réguler ? Limiter ? Juguler ? Une problématique qui agite artistes et institutions depuis deux décennies, sans solution.

« Le Off est régi par l’offre et de la demande », a répété à l’envi Greg Germain, prédécesseur de Beffeyte. Lui poursuit : « Notre association n’a pas la main sur le prix des théâtres et des appartements qui obéissent aux lois du marché. Mais on peut, on doit développer les publics, récolter de l’argent pour aider les compagnies, former les artistes ». La création du fonds de soutien du Off (250.000 euros) est un appel d’air : 196 compagnies et 250 artistes aidés. En prime, le Ministère de la culture a consenti une subvention de 40.000 euros. Une première ! « Dotation symbolique et politique ». Suffisant pour mettre à l’abri les compagnies vulnérables ? Pas sûr.
« Un ogre qui dévore ses petits »

Née en janvier 2018, la fédération Les Sentinelles a recueilli 5.000 signatures pour sa pétition « Off en danger ». « A sa création, le Off a été un vent de liberté, dépoussiérant les institutions, repoussant les limites de l’insolite, créant un foisonnement et une émulation uniques au monde. Mais le foisonnement a fait place à l’efficacité, l’insolite au produit culturel, la légèreté à la recherche cynique d’une création prête à se vendre. La liberté des débuts a plié sous la pression d’une course effrénée à la rentabilité », constatait ce collectif de 50 compagnies. Son président, le comédien David Nathanson, 20 festivals au compteur, regrette : « Le Off est un ogre qui dévore ses petits. Certains paient des sommes folles, doivent monter leur décor en 5 minutes, le démonter en 12, se maquiller et se costumer dans la rue, sans avoir le temps d’être applaudis. Quand on leur demande pourquoi ils acceptent ça, ils répondent : Parce que c’est Avignon ! Mais ici, il n’y a pas de place au soleil pour tout le monde ! »…

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