Violences faites aux femmes : une crise mondiale qui s’aggrave dans l’indifférence

— Par Sarha Fauré —

À l’approche de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, l’Organisation mondiale de la santé publie un nouveau rapport au constat implacable : malgré deux décennies d’alertes, de campagnes de prévention et de déclarations politiques, la violence faite aux femmes reste une crise mondiale, systémique et massivement sous-estimée. Rien, ou presque, n’a reculé.

Une réalité mondiale : plus d’un tiers des femmes touchées

Selon l’OMS, près d’une femme sur trois dans le monde — environ 840 millions de personnes — a déjà subi des violences physiques ou sexuelles dans sa vie, que ce soit au sein du couple ou commises par un tiers. Sur la seule année écoulée, 316 millions de femmes ont été victimes de violences de la part d’un partenaire intime.
La prévalence globale reste structurellement élevée :
24,7 % des femmes de plus de 15 ans ont subi au moins une fois une violence physique ou sexuelle de la part d’un conjoint ou ex-conjoint, et 11,4 % durant les douze derniers mois .

Ces chiffres, déjà vertigineux, ne racontent pourtant qu’une partie de la réalité. Comme le souligne le rapport, la violence sexuelle commise par une personne extérieure au couple demeure largement sous-déclarée, en raison de la stigmatisation, de la peur, ou de la quasi-absence de voies de recours efficaces. L’OMS estime que 263 millions de femmes ont subi une agression sexuelle non conjugale depuis l’âge de 15 ans — un minimum, tant les écarts méthodologiques et socioculturels faussent la mesure.

Des violences qui commencent tôt… et durent toute la vie

L’un des apports majeurs du nouveau rapport est de montrer à quel point les violences s’inscrivent dans une trajectoire générationnelle.
— Parmi les adolescentes de 15 à 19 ans ayant déjà vécu en couple,
23,3 % déclarent avoir subi des violences au moins une fois dans leur vie.
— Chez les femmes de plus de 65 ans, encore
20,5 % rapportent des violences conjugales au cours de leur existence, une réalité largement invisible dans l’espace public et rarement documentée .

La violence n’est donc ni un accident, ni une fatalité isolée : elle traverse les cycles de vie, se répète, se renforce, se transmet.

Des disparités territoriales qui révèlent les vulnérabilités du monde

Si toutes les régions du globe sont touchées, certaines subissent la violence avec une intensité dramatique.
Les taux les plus élevés se concentrent dans les pays les moins avancés, les zones de conflit ou les territoires soumis aux catastrophes climatiques. Dans l’Océanie hors Australie et Nouvelle-Zélande, la prévalence atteint
56,9 %, soit plus du double de la moyenne mondiale.
L’Afrique subsaharienne (31,9 %) et l’Asie centrale et méridionale (30,8 %) présentent également des niveaux très élevés, quand l’Europe et l’Amérique du Nord se situent à 5–7 % — des chiffres plus faibles mais toujours préoccupants .

Ces écarts s’expliquent autant par les réalités socio-économiques que par les capacités institutionnelles : gouvernance fragile, crises humanitaires, déplacements de population, absence d’infrastructures d’aide, mais aussi normes sociales tolérant la domination masculine.

Un effondrement alarmant des financements

Le rapport souligne une contradiction choquante : alors que les violences se maintiennent à des niveaux critiques, les moyens pour les combattre s’effondrent.
En 2022, seuls
0,2 % de l’aide mondiale au développement ont été consacrés à la prévention des violences faites aux femmes — un niveau dérisoire, qui a encore diminué en 2025 .

Pour l’OMS, la situation est sans ambiguïté : nous faisons face à « une réponse cruellement sous-financée ». Les politiques publiques peinent à suivre, tandis que les crises géopolitiques, les inégalités économiques et les mutations technologiques créent de nouveaux terrains de violence, notamment en ligne.

Mesurer pour agir, agir pour protéger

Au-delà des statistiques, l’OMS insiste sur un enjeu fondamental : la qualité et la régularité de la collecte de données. Beaucoup de pays n’ont jamais réalisé d’enquête nationale sur le sujet, ou l’ont fait il y a plus de dix ans.
Les variations méthodologiques — définitions, durée de référence, types d’actes, populations interrogées — compliquent la comparabilité internationale. Mais un principe reste clair :
toutes les enquêtes sous-estiment la réalité.
Même dans les contextes les mieux équipés, les violences demeurent tues, minimisées, effacées.

« Aucune société ne peut se dire juste tant que ses femmes vivent dans la peur »

Le directeur général de l’OMS résume l’enjeu avec force :

« Mettre fin à cette violence n’est pas seulement une question de politique ; c’est une question de dignité, d’égalité et de droits humains. »

Alors que les engagements internationaux multiplient les déclarations de principe, la réalité quotidienne de millions de femmes rappelle que la promesse d’égalité demeure largement inachevée. Pour l’OMS, seule une mobilisation coordonnée — investissements publics, législations protectrices, formation des professionnels, autonomisation des femmes et soutien aux organisations féministes — permettra d’inverser la tendance.

Un impératif mondial

À la lecture du rapport, une certitude s’impose : lutter contre les violences faites aux femmes n’est pas un combat périphérique ou sectoriel. C’est un enjeu de santé publique, de démocratie, de justice sociale et de développement.

Tant que les femmes ne seront pas à l’abri, aucune société ne pourra prétendre être sûre, stable ou égalitaire.