Vers un statut d’autonomie pour la Guadeloupe sans le dire !

— Par Jean-Marie Nol —
L’évolution institutionnelle récente de la Martinique fut plutôt un « ajustement administratif à la marge » qu’un réel changement, et certains experts politiques et juridiques pensent que cela n’a engendré que de la bureaucratie, et ce sans engendrer la moindre économie d’échelles, d’autres allant même jusqu’à dire que ce processus d’ évolution des institutions en Martinique renforça le mode de régulation socio-politique inauguré avec la départementalisation .
Si la question du statut en Martinique semble rester enfermée dans un éternel cercle vicieux , il n’en va pas de même aujourd’hui pour la Guadeloupe.
En effet les 26 et 27 juin 2019, les élus et partis politiques de la Guadeloupe  se sont réunis en congrès afin de procéder à l’analyse de la situation économique, sociale et politique et définir les pistes pour une future évolution institutionnelle /statutaire . Que pouvaient -t-ils donc constater ? C’est pourtant simple à comprendre que 4 ans environ après les élections régionales et départementales , tous les problèmes de fond demeurent : emploi, logement, transports, eau, déchets,sargasses, CHU, déclin de la production locale …. À ce propos, le congrès a décidé d’en faire un bilan et de tracer les perspectives.
Mais revenons un peu en arrière car c’est le passé qui éclaire le présent.
Au lendemain de la départementalisation , les élus ont su se rassembler autour d’un front progressiste , pour sortir de la misère coloniale : paludisme, pian, tuberculose, malnutrition, pas d’accès au soin, analphabétisme, pauvreté endémique, inégalités sociales .
Adoptée le 19 mars 1946, la loi abolissant le statut colonial et créant les départements de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion stipulait en son article 2 l’application des mêmes lois qu’en France « dès le 1er janvier 1947… ».
Cette loi inspirée par Aimée Césarise était donc une loi d’égalité institutionnelle donc d’intégration à la République française.
72 ans plus tard, des acquis positifs sont indéniables dans le domaine de la santé, du niveau de vie, de l’électrification,de la formation continue et professionnelle, des écoles et des équipements, etc.
Mais il y a eu des insuffisances. Les aspects négatifs sont connus. Ce qui fait dire à une étude publiée  par l’INSEE que la Guadeloupe et la Martinique sont des départements hors-norme. 2 chiffres suffisent à traduire la gravité de la situation : plus de 30 % de la population vit sous le seuil de pauvreté ; et environ entre 20 et 23 % de la population active est condamnée au chômage, dont près de 50 % des jeunes, et sans parler de ceux qui choisissent massivement l’exil . Une société avec un tel chômage endémique, un vieillissement de la population, et de telles discriminations n’est pas viable… C’est la conséquence de l’égalité refusée dès le 1er janvier 1947 à toute la population, et de l’inégalité institutionnalisée par les gouvernements qui se sont succédé, entre d’une part les agents de la fonction publique, et d’autre part les autres travailleurs.
Aujourd’hui, un large accord se fait sur les apports et les insuffisances de la loi du 19 mars. Cela se traduit par la volonté largement exprimée qu’un changement est désormais nécessaire. Mais alors, de quel changement s’agit-t-il si on lit attentivement entre les lignes des résolutions adoptées par les élus guadeloupéens ci-dessous du congrès ?
Résolutions des congrès des 26 & 27 juin 2019
Considérant la nécessité de reposer en Guadeloupe les questions fondamentales du développement et de la gouvernance locale,
Considérant les limites de la décentralisation et du cadre actuel de l’exercice des responsabilités locales,
Considérant les perspectives ouvertes par la réforme de la Constitution entreprise par le Gouvernement, visant notamment à introduire la notion de différenciation territoriale dans le texte fondamental,
Considérant que cette différenciation territoriale ouvre la voie à une meilleure et une plus large prise en compte de la réalité et des besoins des territoires locaux, tant du point de vue de leur organisation administrative que du point de vue de la domiciliation et l’exercice des responsabilités locales,
Résolution n° 1 relative à la gouvernance locale de la Guadeloupe.
Les élus départementaux et régionaux réunis en Congrès les 26 et 27 juin 2019 se déclarent favorables à une évolution de la gouvernance locale sur le territoire de la Guadeloupe, en vue de permettre l’élaboration de normes à l’échelon local par la mise en oeuvre d’une plus grande différenciation territoriale, notamment pour ce qui concerne les politiques publiques de l’emploi, du développement économique, de la fiscalité, du système douanier et de l’organisation territoriale.
A cette fin, le Congrès des élus départementaux et régionaux demande aux parlementaires de tenir compte des positions exprimées par ledit Congrès, à l’occasion des séances parlementaires et des discussions avec le Gouvernement.
Résolution n° 2 relative à la méthode de travail pour dessiner les contours de l’évolution souhaitable de la gouvernance locale(…)
Alors, simple réforme administrative de nos institutions, différenciation avec l’article 73 , autonomie de l’article 74 ,  quoiqu’il en soit pour nos élus la métamorphose de notre société est devenue une nécessité. Les solutions institutionnelles ou statutaires avancées par les uns et les autres doivent pourtant interroger notre sagacité, car les choses sont plus complexes à comprendre de prime abord. En fait, on se dirige vers une mue des institutions en trompe l’œil. Parce que, cette fois, par peur de l’échec, les élus ont bien pris soin de ne pas nommer clairement les choses à savoir le choix virtuel de l’autonomie de l’article 74. On note dans la résolution 1- L’élaboration de normes, c’est à dire de lois pays, sur le territoire de la Guadeloupe , ce qui est un processus législatif particulier, dans lequel interviennent les élus locaux. Par ailleurs, il est fait expressément mention de la domiciliation de la compétence fiscale entre autres compétences sollicitées et qui toutes formellement ne peuvent être obtenues dans le cadre de l’article 73. Changer de statut fait peur, surtout s’il s’agit d’aller vers une autonomie . Car ce n’est pas un geste anodin. Depuis la Révolution française, ce sont toujours des crises de régime qui ont débouché sur des changements . Mais ne sommes-nous pas parvenus au stade d’une crise des institutions actuelles en Guadeloupe ?
Tout laisse à le croire et c’est pour cette raison entre autres que les élus guadeloupéens ont pris leur courage à deux mains et décider d’aller de l’avant.
Et si elle (cette crise) n’est pas encore advenue, ne faut-il pas la devancer ? Nous sentons partout monter la colère contre les responsables politiques, contre les élus, contre les partis, contre les institutions. Mais l’oligarchie politique bipolarisée répond : surtout pas de big bang. Surtout, ne pas ouvrir le débat directement sur l’autonomie , on ne sait jamais ce qu’il peut en sortir, la Martinique en a fait l’amère expérience. D’aucuns en Guadeloupe pensent que vous ne pouvez tout simplement pas gérer quelque chose que vous ne pouvez pas mesurer .
Vous ne pouvez pas gérer sans mesurer et seul ce qui est mesuré est mis en œuvre. La mesure est l’antidote à l’ambiguïté, elle oblige à être clair sur des concepts vagues et elle oblige à agir  pas à pas en se donnant le temps de la réflexion.
« Le changement des institutions, c’est maintenant »… Voilà une idée que nous pourrions trouver bien enthousiasmante de la part du politique. Enfin un changement de modèle de société nous sera peut être proposé! Mais à y regarder de plus près, en scrutant à la loupe les résolutions du congrès des élus guadeloupéens de tous bords de gauche comme de droite, on y voit bien la proposition d’un changement des institutions ou de prolongement d’une politique en cours avec la différenciation , mais surtout un  changement de paradigme à l’horizon… Cette fois les véritables enjeux de notre société ont été abordés dans les débats de fond concernant la problématique d’une évolution statutaire et non institutionnelle dans ce congrès . Et cette fois on ne nous a pas ressorti la boite à sparadraps, à patchs, à bandelettes pour tenter de colmater – avec une ribambelle de mesurettes qui vont être débattues jusqu’à plus soif – ce modèle départemental de société à bout de souffle, qui prend l’eau de toutes parts, dans une attitude de quasi-acharnement thérapeutique. Oui, nous avons assister à un ballet de paroles d’experts juridique , spécialistes de chiffres abscons, de fiscalité et de budgets, et d’élus visionnaires qui cherchent à emmener un peuple vers son nouveau destin de pays autonome pour éviter le pire en proposant le meilleur selon eux . A ce congrès , on a voulu voir que pour changer les choses en profondeur,et disrupter le système, il faudra innover sur le plan de la tactique politique.
Jusqu’ici, on n’avait pas voulu voir que la métamorphose de notre société est malheureusement devenue une nécessité, et que de toutes façons le monde se transforme déjà autour de nous. On n’avait pas voulu voir que notre économie est maintenant très fragile car trop complexe et non soutenable avec l’avènement de l’intelligence artificielle et la révolution numérique , que le « court-termisme » à tout va ne peut perdurer sans conséquences dramatiques, que les ressources agricoles de la Guadeloupe se raréfient à vue d’oeil, que la préservation du vivant sous toutes ses formes n’est pas une priorité (pas moins de 90% des cours d’eau en Guadeloupe sont par exemple contaminés par les pesticides , que les inégalités criantes détruisent nos liens sociaux et divisent nos communautés, que le quantitatif est devenu roi et a pris le pas sur le qualitatif, que le sacro-saint pouvoir d’achat a remplacé le « pouvoir de bien-être », et enfin que l’homme est principalement devenu un acteur économique au service de la financiarisation de la société . Ce dernier point nous a d’ailleurs enfin permis de voir que les collectivités locales de notre pays étaient criblées de déficits et minées de dettes. Nous voyons donc maintenant l’arbre de la différenciation de manière claire, mais il va encore falloir ajuster nos lunettes pour apercevoir la forêt de l’autonomie après le congrès….! Dans ce contexte,  à y regarder de près, c’est bien un statut d’autonomie et non une évolution institutionnelle que réclame les élus guadeloupéens, et ce contrairement aux apparences. Alors  » Chat’ an sak  » ? Seul l’avenir nous le dira !

Jean-Marie Nol