Un parfum de Portugal flotte sur Paris

Le Fado, musique typique portugaise, peut se découvrir de nouveau à Paris

Le mot fado est dérivé du latin fatum, « destin ». Le verbe portugais « fadar » signifie « prédestiner ».

Style musical incontournable du Portugal, le fado est un chant mélancolique. Il exprime une certaine nostalgie d’une chose perdue, ou jamais atteinte. La chanteuse ou le chanteur de fado, qu’on nomme « fadista », « fadiste » en français, est accompagné-e par une « guitarra » (sorte de cistre en forme de mandoline) et par un « violão », guitare basse acoustique — des instruments à cordes pincées. À Lisbonne, le fado peut être aujourd’hui accompagné au violon, au violoncelle ou à l’orchestre, mais il ne se dispense pas de la guitare portugaise. Ce chant exploite en général des thèmes récurrents : la « saudade¹ », l’amour inaccompli, la jalousie, la nostalgie des morts et du passé, la difficulté à vivre, le chagrin, l’exil… 

Né dans les quartiers populaires du Portugal dans les années 1820/1840, le fado s’est ensuite étendu pour être aussi écouté et apprécié par la bourgeoisie. Il devint, sous la dictature de Salazar, le chant national. Pratiqué aujourd’hui par de jeunes fadistes, inscrit depuis le 27 novembre 2011 au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité, il a repris ses lettres de noblesse. Deux variétés se distinguent :

Le fado de Lisbonne, qui fut tout d’abord entonné dans les quartiers tels que l’Alfama, le Castelo, la Mouraria, le Bairro Alto ou encore la Madragoa, est chanté aussi bien par des hommes que par des femmes. Le fado dit « typique » est de nos jours principalement destiné aux touristes, dans des établissements spécialisés, notamment dans les quartiers historiques de Lisbonne ; il conserve des caractéristiques originelles : il est soit un chant triste, divertissant ou ironique, soit plus rarement un dialogue en partie improvisé entre deux chanteurs.

Le fado de Coimbra, issu des traditions académiques de la célèbre Université de la ville était, quant à lui, uniquement interprété par des hommes, à destination d’un public féminin. Le fadiste, en solo ou en groupe, accompagné de « guitarras » et guitares, se place sous le balcon d’une demoiselle pour entonner une sérénade. Les thématiques abordées sont souvent les amours estudiantines, et les textes peuvent donner dans l’ironie.

C’est Maria Severa (1810-1836) qui fit entrer le fado au Portugal. Elle fut, en effet, la première grande « fadista ». C’est par elle, que ce mouvement musical se fit connaître. Un film réalisé par Leitão de Barros, le premier film sonore portugais, lui a d’ailleurs été consacré en 1931.

Le fado moderne a vu sa notoriété dépasser largement les frontières du Portugal avec Amália Rodrigues. Ce fut elle qui popularisa l’usage de textes de poètes célèbres, comme Luís Vaz de Camões, José Régio, Pedro Homem de Mello, Alexandre O’Neill, David Mourão-Ferreira, José Carlos Ary dos Santos… 

 

Le Fado revient, doucement, en France

— par Jean-Luc Gonneau, le 30 août 2020 —

Le fado en île de France est une pratique reconnue et inscrite à l’inventaire du « Patrimoine Culturel Immatériel en France » en 2019.

Depuis la mi-mars, presque six mois passés, le fado a disparu, ou presque des scènes culturelles en France. Une très timide reprise eut lieu en juillet : fête de la musique à Paris à l’initiative d’associations — Académie de fado, Coin du Fado et Gaivota fado — et de la boutique Portologia. À notre connaissance, deux soirées de fado se sont tenues dans des restaurants, dont le « Vila Real » à Paris. Et rien en août, ce qui n’est pas seulement lié au Covid-19 mais aussi à la période de vacances, qui draine vers leurs pays d’origine beaucoup d’artistes et d’amateurs des musiques du monde.

Rendons donc hommage à Portologia*, le lieu de fado le plus régulier dans sa programmation depuis quelques années, pour reprendre dès septembre ses soirées fado bimensuelles. Dès le mercredi 9 septembre, c’est Lúcia Araújo qui s’y produira, accompagnée par Filipe de Sousa, pilier de la maison à la « guitarra », et Casimiro Silva, pilier du fado parisien depuis quatre décennies. Dès son arrivée en France, voici quelques années, Lúcia nous avait captivés par son interprétation très intense du fado. Elle y a ajouté depuis une réjouissante capacité de pétillement.

Elle sera suivie, mercredi 23 septembre, par Jenyfer Rainho, avec l’inévitable Filipe de Sousa et, autre pilier maison, Pompeu Gomes Coelho à la viola. Nous avons connu Jenyfer dès ses débuts en public, à quinze ans. Elle en a un tout petit peu plus du double aujourd’hui, et est devenue une voix majeure du fado hexagonal, avec un répertoire qui allie des perles oubliées de l’histoire du fado et des classiques du genre. Bien entendu, toutes les prescriptions de précautions sanitaires seront mises en place et tenues d’être respectées.

Nous espérons que l’initiative de Julien dos Santos, le patron de Portologia, sera suivie par de plus en plus d’établissements et d’organisateurs de concerts. Nous savons que beaucoup ont lourdement souffert économiquement, et continuent de souffrir des conséquences du confinement et des restrictions liées au post-confinement. Certains risquent de disparaître, d’autres hésitent à organiser des concerts : le public sera-t-il au rendez-vous ? Pourrons-nous rémunérer les artistes ?

Nous savons aussi qu’une partie du public continue d’hésiter à sortir dans des lieux publics, soit pour des raisons économiques (de quoi demain sera-t-il fait?) soit par crainte sanitaire. Nous savons également que les artistes du fado, comme tous leurs collègues du spectacle vivant, paient un lourd tribut, cette année, aux conséquences de la pandémie. Si celles et ceux qui ont une autre activité salariée ont peut-être pu les supporter, les autres qui se consacrent uniquement à leur art vivent des moments difficiles, d’autant que très peu — vraiment très peu — d’entre eux peuvent bénéficier du statut un peu — vraiment un peu — protecteur d’intermittent du spectacle. Un statut, soit dit en passant, qui n’existe pas pour leurs collègues officiant au Portugal où, là aussi, le fado et la culture en général sont en souffrance.

Du côté des concerts des «stars» du fado dans notre pays, peu d’éclaircies en vue. Notez cependant, car cela vaudra le déplacement, un festival fado en avril (oui, il faut être patient) au Théâtre Paul Eluard** à Bezons, concocté par nos amis de Viavox, avec Ricardo Ribeiro, l’une des toutes meilleures voix du fado aujourd’hui, Carla Pires (un miracle de délicatesse) et le projet de fado expérimental « Lina-Raul Refree » alliant la voix captivante de la fadiste Lina Rodrigues et les trouvailles électro de l’espagnol Raul Refree.

Nous espérons bien sur que ce début encore fragile va se développer au fil des jours. En attendant, pour celles et ceux qui le peuvent, rendez-vous au Portologia (attention, nombre de places limitées) avec Lucia, Jenyfer, Filipe, Casimiro, Pompeu, plus du fado vadio, et votre serviteur qui ne saurait manquer ça.

* Portologia, 42 rue Chapon, 75003 Paris. Infos: 09.52.59.22.29

** Théâtre Paul Eluard, 162 rue Maurice Berteaux, 95870 Bezons. Infos: 01.34.10.20.20


  1. Saudade est un mot portugais, du latin solitas, atis, qui exprime un sentiment complexe où se mêlent mélancolie, nostalgie et espoir. Saudade est considéré comme un mot portugais difficile à traduire, au point que la création d’un néologisme français a même été envisagée. Le dictionnaire français Larousse le définit comme « sentiment de délicieuse nostalgie, désir d’ailleurs », mais il n’y a pas de mot exact qui corresponde à Saudade en français.